Une liberté des funérailles sous le dais de l’ordre public (II/V)

Manifeste
– via l’humusation et l’ordre public –
pour un droit à l’actualisation
de la liberté des funérailles

(et donc des normes funéraires)

par Mathieu Touzeil-Divina
professeur de droit public, Université Toulouse Capitole,
Co-directeur du Master Droit de la Santé – Université Toulouse Capitole,
Président du Collectif L’Unité du Droit, Fondateur du Projet « Vie-Droit-Mort »

Attention ! La mise en ligne et en accès libre des présents propos n’entraîne pas l’abandon de ses droits d’auteurs. Le projet VDM, en accord avec les auteurs concernés, a ainsi choisi de permettre la diffusion de plusieurs doctrines afin qu’elles puissent être diffusées et discutées le plus largement possible. Pour autant, toute reprise de tout ou partie de ce document implique un respectueux droit de citation pour le travail des auteurs concernés.

En l’occurrence, on pourra citer le présent document comme suit :

Touzeil-Divina Mathieu,  » Manifeste – via l’humusation et l’ordre public – pour un droit à l’actualisation de la liberté des funérailles (et donc des normes funéraires)  » in Projet Vie-Droit-Mort ; en ligne sur le site droitsdelamort.com ; 2023 ; art. 04 (II/V).

Les liens vers les cinq articles composant le Manifeste sont par ailleurs détaillés sur cette page.

Même si le citoyen non-juriste peut s’étonner d’une présence aussi forte de la puissance publique, et de l’État en particulier, pour accompagner les défunts et surveiller la liberté de leurs funérailles, l’homme et la femme de Loi savent, au contraire, qu’au nom de la police et de l’ordre public[1], au nom de la sécurité et de la santé publiques surtout ainsi que de la dignité de la personne humaine, la Mort, en France, est une question juridique d’importance qui, dès qu’elle est mentionnée, jette un voile d’opacité et d’immobilisme (dès que l’expression « ordre public » est brandie) sur les opérations impactées.

Il en est presque ainsi de l’ordre public sur les funérailles comme de ces épais tissus pesants que les pompes funèbres privées – mais en délégation de service public – de Borniol (rendues célèbres par le chanteur Thiéfaine) avaient popularisés dans leurs services. En 2024, toujours, il n’existe, au nom de l’ordre public, que deux « destinations finales » des sépultures (Chap. II) alors que la société aspire à de nouvelles modalités funéraires (Chap. III).

Avant 1804 & 1887. Lorsque l’Église catholique, notamment, était encore un service public dans toute la France, elle avait réussi à imposer sa vision de la Mort et des réactions sociales à y apporter. C’était particulièrement topique s’agissant des modalités du « dernier voyage » accompagnant le défunt de son lieu de décès ou d’exposition funéraire vers sa « destination finale » : la mise en terre ou sa réduction accélérée en cendres. Le service extérieur des pompes funèbres a effectivement d’abord été uniquement liturgique avant de devenir public et économique[2]. Et il en fut de même du devenir des corps des défunts dont la seule destination a longtemps été, du Moyen-âge à la fin du XIXe siècle, l’inhumation en « terre d’Église », ad sanctos, en terre consacrée. Ne pas y reposer, parce que l’Église l’aurait refusé, était alors pour la famille et les proches un déshonneur total que traduisent les multiples appels comme d’abus[3] matérialisés par les familles pour contester pendant tout le XIXe siècle ce qu’ils entendaient comme des « excès de pouvoir catholique ».

Trois années sont alors cruciales : 1776, 1804 & 1887.

  • Dès 1776, en effet, une déclaration royale du 10 mars[4], déjà au nom de la décence et de l’hygiène[5] (et donc de l’ordre public) interdit les inhumations en lieux de cultes (et conséquemment la translation des cimetières existant).
  • Par le décret du 12 juin 1804[6] (23 prairial an XII), l’État va ensuite imposer la construction mais surtout la gestion publique (et non cultuelle) de cimetières au-delà des lieux d’habitation et – par suite – la séparation des cimetières originaux des paroisses françaises, construits seulement autour et par les lieux de culte[7]. Les cimetières d’Ancien régime étaient en effet cultuels et la Révolution va les rendre publics, communaux[8], clos et situés en périphérie des lieux de vie.
  • Bien avant la laïcisation de 1905, ainsi, c’est la Mort qui va d’abord matérialiser la séparation des Églises et de l’État au profit de ce seul dernier, surveillant et délégant sa compétence aux communes. Ainsi, c’est par la Loi dite de liberté des funérailles, le 15 novembre 1887, que la Loi va donner aux citoyens la possibilité de contrer plus facilement l’interdit religieux de la crématisation.

Incinération, crémation & crématisation. Les trois termes sont utilisés pour désigner la transformation d’un corps humain défunt en cendres.

Le premier, l’incinération, est cependant privilégié pour parler du traitement des déchets et des poubelles provoqués par l’activité humaine : des objets usagés ou pourris dont on veut se débarrasser. Le terme crémation a alors été popularisé et revendiqué pour parler de l’action de crémer des cadavres humains et ce, par ses promoteurs (médecins hygiénistes, protestants notamment mais aussi francs-maçons et libres penseurs, etc.) pendant tout le XIXe siècle. Plus récemment, les travailleurs et opérateurs des services funéraires ont revendiqué le néologisme de crématisation que l’on adoptera également. Le terme, qui veut se distinguer des deux précédents, revendique sa construction étymologique comme suit[9] : « crématiser se décompose en deux parties : créma, qui évoque donc la crémation humaine, et tiser, qui désigne l’action d’introduire un combustible dans un four ». « Surtout, il propose une image spécifique à la crémation humaine, contrairement à incinérer. Enfin, ce n’est pas un anglicisme, mais un mot étymologiquement composé de racines grecques et latines ».

Franchir l’interdit religieux par la Loi temporelle de 1887. En 1887, cependant, on l’a dit, officiellement les Églises n’étaient en France pas encore séparées de l’État. Et, s’agissant de la plus puissante d’entre elles dans le pays, la Catholique, elle n’entendait qu’une destination pour « ses » cadavres : celle qu’aurait connue le Christ : l’ensevelissement à son image ce qui excluait, de fait, la crématisation pourtant prônée par d’aucuns et que l’Antiquité et toutes les civilisations avaient pourtant connu voire promu comme procédé considéré purifiant.

On sait ainsi qu’en 789, Charlemagne (circa 742-814) par[10] « l’article 7 du premier capitulaire saxon prévoit : « si quelqu’un fait consumer par les flammes, selon le rite des païens, le corps d’un homme défunt et qu’il réduise les os en cendres, qu’il soit puni de mort » ». Il y eut bien quelques rares exceptions (par exemple quand on ordonnait – pour les purifier et éviter la propagation – les corps des défunts d’épidémies ou encore quand on menait – vivants – au bûcher les hérétiques) mais il s’agissait là de dérogations non volontaires de la part des intéressés, au nom, déjà, d’une forme d’ordre public. Quoi qu’il en soit de 1789 à 1887, l’État sous le joug ecclésiastique interdit toute sépulture autre que l’inhumation. À proprement parler, cela dit, plusieurs auteurs vont nier (ou plutôt minimiser[11]) l’existence d’un véritable interdit religieux[12] (et catholique en particulier) en expliquant qu’il s’agirait davantage d’une préférence pour l’inhumation que de la condamnation d’une hérésie[13] crématiste.

Toutefois, sous l’impulsion et la demande fortement relayée au Parlement, d’hygiénistes et de libres-penseurs, la France adoptera la Loi préc. du 15 novembre 1887 qui reconnaîtra en son article troisième que « tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et » surtout « le mode de sa sépulture ». Et, précisera le décret préc. de 1889, deux hypothèses seulement seront alors envisageables :

  • l’inhumation
  • et la crématisation.

Pourtant, le Vatican continuera, dans sa révision canonique de 1917, d’affirmer l’interdit religieux en proclamant dans son nouvel article 1203 que « les corps des fidèles doivent être ensevelis ; leur crémation est réprouvée. Si quelqu’un ordonne, de quelque manière que ce soit, de livrer son corps à la crémation, il est défendu d’exécuter cette volonté. Si cette condition est opposée à un contrat, testament ou acte quelconque, on la considérera comme non avenue ». C’est ce qui explique que jusque dans les années 1980, la crématisation ne concernait qu’un seul pour cent des sépultures françaises. Il faudra la digestion du Concile de Vatican II (et le nouvel article canonique 1176-3) pour que ce second mode de sépulture entre dans la société française.

Les dispositions toujours positives de 1887-1889 : les funérailles bicéphales. Comme en disposait l’art. 03 in fine de la Loi de 1887, « un règlement d’administration publique déterminera les conditions applicables aux divers modes de sépulture ». Et c’est conséquemment le décret préc. du 27 avril 1889 qui va disposer qu’existent seulement en France deux modes de sépulture dont les détails sont indiqués dans les titres II et III respectifs de la norme : « des inhumations » (en premier) puis « de l’incinération » (sic). Dans les deux hypothèses[14], surtout, il apparaît que toute sépulture est matérialisée « sous la surveillance de l’autorité municipale » et doit avoir été autorisée en ce sens. Aussi, en 1887, comme en 1804 et déjà dans certaines ordonnances d’Ancien Régime, apparaît une préoccupation importante : celle de veiller à ce que la sécurité et la salubrité publiques soient respectées.

Les justifications toujours positives de 1887-1889 : l’ordre public. En effet, au nom de quoi a-t-on longtemps (et encore) justifié la réduction des sépultures aux deux modes contemporains de l’inhumation et de la crématisation et ce, dans des lieux dédiés (cimetières et sites cinéraires), hors l’hypothèse de la dispersion des cendres en pleine nature ?

Ce sont la Médecine et le Droit qui ont porté ces motifs à la suite d’événements dramatiques de la fin de l’Ancien Régime et de la période révolutionnaire. C’est effectivement après que plusieurs charniers et autres fosses communes d’autrefois se soient effondrés ou encore après que des animaux (chiens et porcs notamment) se soient introduits, en pleine ville, dans des cimetières où régnaient immondices et vapeurs putrides, que l’État a désiré agir non seulement au nom de la décence et du respect à donner aux défunts mais encore pour éviter la diffusion de maladies et de pourrissements à quelques mètres des habitations.

Or, éviter des dégradations aux biens (comme il s’en produisit par l’effondrement de murs et de terrains sur lesquels on avait entassé sans réflexion des charniers humains) ainsi qu’aux personnes mais aussi promouvoir la santé publique revient à la défense de deux des versants de l’ordre public : la sécurité et la salubrité publiques.

Cela dit, c’est pourtant au nom de l’Égalité[15], qu’avait été supprimée lors de la Révolution française la pompe funèbre : tous les citoyens devaient être enterrés de la même façon « républicaine », sans protection cultuelle. En 1789, en effet, il revint d’abord aux familles d’organiser elles-mêmes les funérailles (car le législateur estimait dans un premier temps ne pas avoir à régir la question funéraire) mais la salubrité et la décence étant souvent oubliées, les communes durent organiser un service le plus dépouillé et égalitaire soit-il. Les plus riches ne pouvaient, même en payant, obtenir un service funèbre plus important : le législateur décida seulement, en novembre 1793, que la Puissance publique fournirait à chaque homme un cercueil, un drap mortuaire tricolore et cette seule inscription comme parement mortuaire : « L’homme juste ne meurt jamais ; il vit dans la mémoire de ses concitoyens ». À cette époque, les familles se virent même interdites d’accompagner le défunt à sa dernière demeure : seuls quatre « vespillones » menaient le citoyen à la tombe. En l’An VIII, cependant, le Conseil des Cinq cents permit qu’un officier municipal (en grand costume) accompagnât la famille et les amis au cimetière échu à la charge communale. Toutefois, en pratique, la belle et utopique théorie égalitaire ne fut pas appliquée : si la pompe, avec tout ce qu’elle comporte d’inégalitaire avait été supprimée, c’est le chaos qui la remplaçait. On ne comptait plus les nombres de vols et de pillages de tombes : il n’était pas rare de voir les fossoyeurs utiliser le même cercueil plusieurs fois de suite et jeter ensuite les cadavres nus dans un charnier.

La salubrité et la sécurité publiques étaient à ce point en danger que le sujet revint fréquemment à la tribune du Conseil des Cinq cents.

Le 14 frimaire An VII, le député Jean-Baptiste Lafargue (1744-1819) vint y déclarer : « j’ai vu une mère disputant à un pourceau le cadavre de son enfant. L’anarchie est telle qu’il y a des lieux de sépulture où les cadavres effleurent le sol et deviennent la proie et le jouet des animaux ». En ce sens l’avocat Delamalle[16] (1752-1834) relate : « je cherchais une tombe, un cercueil, je ne vis rien ; la bière fut déposée sur un terrain boueux (…) je vis le moment où cette bière, tombant en morceaux, allait offrir à nos regards le corps de ma mère gisant dans la boue (…). J’aperçus alors une espèce d’échafaud (…) établi sur un précipice. Une odeur cadavérique s’en exhalait (…). Je compris ce qu’allait devenir ma mère dès que la nuit le permettrait et son simulacre de cercueil et les vêtements dont la piété avait couvert son corps ».

Concrètement, les communes étaient techniquement et financièrement incapables de faire face à ces nouvelles attributions. Ainsi, même si le but poursuivi (l’Égalité parfaite) était honorable, on ne pouvait encore le mettre en application et les communes laissèrent finalement les Églises réopérer là où elles avaient toujours su le faire. De plus, l’Église, privée de biens et de revenus, ne parvenait plus à subvenir à ses besoins et, comme elle était encore influente, elle réussit à obtenir, à la suite du vote de la Loi du 18 Germinal An X[17], le nouveau monopole des pompes funèbres. Très vite (Arrêté du 07 Thermidor An XI[18]) les fabriques retrouveront leurs biens et jusqu’en 1904[19] tout se passera, pour l’Église, comme si la Révolution n’avait été qu’une triste parenthèse[20]. Toutes deux (fabriques et Églises) ont milité pour que les cadavres fassent l’objet de sépultures individuelles[21], quels que soient les revenus des défunts, et ce, en inhumation en cimetières de la domanialité publique (et sous exception, en terrains privés) ou – toujours après crématisation individuelle – par la réduction cinéraire.

De même, c’est encore la salubrité publique qui veille à ce que nul ne puisse[22] « sans autorisation, élever aucune habitation ni creuser aucun puits à moins de 100 mètres des nouveaux cimetières transférés hors des communes ». En outre, pendant toute la seconde moitié du XIXe siècle, nombre de médecins ont milité en faveur de l’hygiénisation (sic) des cimetières et des chambres funéraires afin de continuer les prescriptions médicales débutées par le décret préc. de prairial an XII. Parmi ceux-ci, la « thèse présentée au concours pour la chaire d’hygiène à la Faculté de médecine de de Paris » que présenta (avec succès) le futur professeur (Auguste) Ambroise Tardieu[23] (1818-1879) fit date.

Soutenue en 1852 en plein succès des doctrines hygiénistes, le médecin y soutenait l’urgence d’assainir les opérations funéraires au nom de la salubrité publique. Et, pour éviter la diffusion des « émanations putrides », des « immondices », des « matières fécales » mais aussi des « miasmes », dans les voiries et les alentours des cimetières, l’auteur invoquait, déjà, la prévention et l’interdit : la clôture ferme des lieux mais aussi des cercueils.

Une autre obligation d’ordre public : le cercueil. Une fois médicalement (par un certificat de décès[24]) puis juridiquement (par un permis municipal de mettre en bière[25] puis d’inhumer[26] ou de crématiser[27]) acté « défunt », le corps humain et mort, en France, est en effet nécessairement mis en bière individuelle.

Ainsi, dispose explicitement l’art. R. 2213-15 CGCT : « avant son inhumation ou sa crémation, le corps d’une personne décédée est mis en bière ».

L’imposition de cette bière répond aux mêmes exigences d’ordre public ainsi qu’à une volonté manifeste, et de plus en plus renforcée, de ne plus montrer en public les corps morts comme pour en effacer la matérialité. Dans un cercueil, chaque défunt est pris en charge par le service public des pompes funèbres[28] pour être accompagné en terre ou dans le feu. Dans les deux cas, toute peur de contamination réelle ou symbolique, médicale ou fantasmée, du corps mort est comme emprisonnée entre les planches de bois dont l’épaisseur est suffisante pour qu’aucun incident ne survienne jusqu’à l’ensevelissement ou la crématisation. Alors, surtout si l’on ajoute par-dessus la terre ou le caveau, une pierre tombale ou si l’on enferme les cendres dans un réceptacle dédié, plus personne ou aucun animal ne semble pouvoir déranger ou atteindre la Mort ainsi emprisonnée mais aussi protégée d’éventuelles profanations (au nom de la sécurité publique toujours). La salubrité publique est également rassurée en ce que d’éventuelles maladies qui seraient encore actives sur le défunt, y resteront et ne contamineront pas les vivants. C’est pour cette même raison, sûrement parfois plus allégorique que médicale au regard des connaissances actuelles de survie des bactéries et autres virus, que l’on a multiplié dans les cimetières français la symbolique des enfermements multiples et répétés sinon gigognes (par l’utilisation, moins fréquente désormais, de barrières autour des tombes notamment).

Le défunt est ainsi, sous la surveillance médicale puis policière, enfermé dans un cercueil qui lui-même va être emprisonné dans un caveau, dans de la terre ou être réduit en cendres, enfermé entre les parois d’un crématorium. Par suite, à l’exception d’une dispersion cinéraire en pleine nature, les cendres ou la bière seront toujours enfermés et scellés au sein d’un terrain, le cimetière ou le site cinéraire, lui-même clos d’arbres et de murs empêchant toute entrée ou tout regard intempestifs (sécurité publique !). Autrefois, d’ailleurs, certaines tombes étaient entourées (ce qui est encore présent dans de nombreux cimetières) de grilles et de barrières multipliant cette impression. En outre, c’est aussi au nom de la sécurité publique[29] et pour éviter que l’on ne procède à l’inhumation ou à la crématisation d’une autre personne que celle revendiquée, que les normes ont imposé plusieurs identifications des défunts (par bracelets inamovibles comme lors de la naissance et par l’ajout d’une plaque gravée sur la bière ou sur l’urne[30]).

Un renforcement de la salubrité publique : le cercueil hermétique. Par ailleurs, en cas de suspicion de maladies infectieuses[31] (et donc toujours au nom de l’ordre public via sa salubrité), il arrive même que la bière soit renforcée (et par exemple dotée d’une cuve d’étanchéité) afin de conforter l’aspect matériel emprisonnant du cercueil et pour être certain que « rien » n’en échappe. Il en est de même en cas de transport long[32] jusqu’à la dernière demeure. Au besoin, après le transport par exemple international, le corps peut être réinstallé dans une bière « simple » biodégradable[33] pour en permettre l’inhumation ou l’incinération.

Du cercueil de bois à celui de carton. La réglementation (art. R. 2213-25 et s. Cgct), à la suite d’une demande sociale importante de bénéficier de cercueils dits plus écologiques (en carton recyclé et non forcément en bois) a évolué et plusieurs arrêtés prévoient désormais (malgré une réticence de certains crématoriums) l’autorisation de mises sur le marché après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de cercueils[34] « en carton ondulé ».

Avant 2018, cependant, l’art. R. 2213-25 Cgct précisait bien que le cercueil devait être fait de bois.

Aussi, lorsque l’ordre public n’en est pas affecté ou atteint, rien ne s’oppose à une mise à jour des opérations ou des conditions funéraires même si celles-ci paraissaient autrefois infranchissables lorsque d’aucuns demandaient en vain d’autres matières de bières que le bois ou que certains prônaient la crématisation jusqu’en 1887.

Du développement de la crématisation. En France, c’est dès 1889 qu’eut lieu la première crématisation (au crématorium parisien du cimetière du Père-Lachaise), le 30 janvier, du fils d’un docteur russe en médecine, nommé Jacoby[35] et mort d’une tuberculose pulmonaire. Cependant, même si plusieurs associations s’étaient constituées (à l’instar de la Société pour la propagation de l’incinération créée le 04 novembre 1880) après la Commune de Paris, essentiellement autour de loges maçonniques, il faudra attendre longtemps (plus d’un siècle après 1980) pour que la crématisation devienne non une exception mais un phénomène de société comparable, désormais, à l’inhumation.

La répartition positive des sépultures. En effet, en 2024, on, peut considérer que la répartition positive des sépultures, entre inhumation et crématisation, tend à se répartir également et l’on estime, au regard des plus récentes études, que ce chiffre pourrait encore augmenter.

Attention ! La mise en ligne et en accès libre des présents propos n’entraîne pas l’abandon de ses droits d’auteurs. Le projet VDM, en accord avec les auteurs concernés, a ainsi choisi de permettre la diffusion de plusieurs doctrines afin qu’elles puissent être diffusées et discutées le plus largement possible. Pour autant, toute reprise de tout ou partie de ce document implique un respectueux droit de citation pour le travail des auteurs concernés.

En l’occurrence, on pourra citer le présent document comme suit :

Touzeil-Divina Mathieu,  » Manifeste – via l’humusation et l’ordre public – pour un droit à l’actualisation de la liberté des funérailles (et donc des normes funéraires)  » in Projet Vie-Droit-Mort ; en ligne sur le site droitsdelamort.com ; 2023 ; art. 04 (II/V).

Les liens vers les cinq articles composant le Manifeste sont par ailleurs détaillés sur cette page.


[1] Et ce, singulièrement depuis la thèse magistrale de : Mesmin d’Estienne Jeanne, L’État et la mort ; Paris, Lgdj ; 2016.

[2] Sur cette histoire : Touzeil-Divina Mathieu, « Histoire d’un service public : le service extérieur des pompes funèbres (1802 / 2002) : du liturgique à l’économique » in Guglielmi Gilles-J. (dir.), Histoire et Service public ; Paris, Puf ; 2004 ; p. 397 et s.

[3] On se permettra de renvoyer à cet égard à : Touzeil-Divina Mathieu, Un père du Droit Administratif moderne, le doyen Foucart (1799-1860) – Éléments d’histoire du droit administratif ; Paris, Lgdj ; 2020 ; § 503.

[4] À son sujet, on lira en particulier : Bertrand Régis, « Genèse d’un cimetière nouveau dans le dernier tiers du XVIIIe siècle » in Aux origines des cimetières contemporains ; les réformes funéraires de l’Europe occidentale (…) ; Aix-en-Provence, Pup ; 2016, p. 65 et s.

[5] Pour l’anecdote, la déclaration de 1776, rappelle Régis Bertrand (op. cit. ; p. 71), avait même été précédée d’un arrêt de règlement du Parlement de Toulouse (daté du 03 septembre 1774) qui parvenait aux mêmes conclusions après s’être basé sur le fait que « les médecins nous assurent que les vapeurs putrides qui s’exhalent des cadavres chargent l’air de sels et de corpuscules (sic) capables d’altérer la santé et de causer des maladies mortelles ». C’est ce qui avait provoqué, le 23 mars 1775, l’interdiction pour l’avenir de toute inhumation dans les églises du ressort de l’archevêque de Toulouse, Étienne-Charles de Loménie de Brienne (1727-1794).

[6] Sur ces origines et notamment la forte influence du concours (1800) de l’Institut de France sur les lieux funéraires puis de l’arrêté du préfet Nicolas Frochot (1761-1828) ayant organisé par son arrêté du 12 mars 1801 (notamment) le futur cimetière parisien dit du Père Lachaise : Bertrand Régis, « Révolution et Consulat. Origines et genèse du décret du 23 prairial an XII » in Aux origines des cimetières contemporains ; op. cit. ; p. 93 et s.

[7] Cela dit, rappellent les auteurs, les cimetières, même communaux, ont longtemps continué de faire l’objet de préoccupations cultuelles ainsi qu’en témoignent leurs… bénédictions : cf. Hornstein Édouard, Les sépultures devant l’histoire, l’archéologie, la liturgie, le droit ecclésiastique et la législation civile ; Paris, Albanel ; 1868, p. 340 et s.

[8] De nos jours l’art. L. 2223-1 Cgct rappelle cette obligation communale ou intercommunale.

[9] L’auteur (ici cité et travailleur du monde funéraire) Guillaume Bailly en a même fait une pétition en 2015 aux côtés de Funéraire info.

[10] Cité par Cousin Jacques, « La crémation la mort » in Etudes sur la mort ; 2007 ; n°132 ; p. 87 et s.

[11] Parmi ceux-ci, citons par exemple Alexandre Bonneau (1820-1890) qui se présente lui-même comme l’un des « auteurs de la réforme » et qui écrit à la fin de son best-seller (La crémation et ses bienfaits ; Paris, Dentu ; 1886 ; p. 312 et s.) qu’il existe certainement des « intérêts religieux » à pratiquer la crématisation même si l’Église ne les a pas encore tous bien perçus !

[12] En tout état de cause, il est manifeste qu’en 1888, à la suite du vote de la Loi française notamment, la Cour de Rome « a déclaré qu’il était » désormais explicitement « illicite d’ordonner la combustion de son cadavre ou de celui d’autrui » rappelle : Fay Émile, Les cimetières et la police des sépultures ; traité pratique de législation ; Paris, Berger-Levrault ; 1890, 2nde éd. ; p. 05.

[13] En ce sens : Reber Burkhard, La crémation ; histoire, hygiène et technique ; Genève, Burkhard ; 1888 ; p. 21.

[14] Il en existait, factuellement, une troisième très spécialement réservée aux gens de mer par exemple lorsque le navire autrefois ne pouvait faire escale : l’immersion du corps ou « sépulture en mer ». Aujourd’hui, a priori, seules les cendres peuvent être immergées (pour une urne dégradable et ce, à plus de 3 miles nautiques du rivage) ou dispersées au sens de l’art. L. 2213-23 Cgct, tant que cela est matérialisé à 300 mètres des côtes. A priori, en revanche, les mêmes actons sont prohibées dans un cours d’eau douce.

[15] Les paragraphes suivants proviennent de : Touzeil-Divina Mathieu, « Histoire d’un service public : le service extérieur des pompes funèbres (1802 / 2002) : du liturgique à l’économique » in Guglielmi Gilles-J. (dir.), Histoire et Service public ; Paris, Puf ; 2004, p. 397 et s.

[16] Delamalle Gaspard Gilbert, L’enterrement de ma mère ou Réflexions sur les cérémonies des funérailles et le soin des sépultures, et sur la moralité des institutions civiles ; Paris, Boulard ; 1795.

[17] Loi du 08 Avril 1802 sur l’organisation des cultes ; Bulletin des Lois n° 172 ; An X p. 13 à 27 ; n° 1344.

[18] Bulletin des Lois ; an XI ; 2ème semestre ; p. 788.

[19] Après le vote de la Loi du 29 décembre sur le service extérieur des pompes funèbres ; cf. Dugas Édouard, La Loi du 29 décembre 1904 sur le régime des pompes funèbres ; Paris, Rousseau ; 1905.

[20] En ce sens, l’article 18, Titre V, du décret du 23 Prairial An XIII dispose : « les cérémonies précédemment usitées pour les convois, suivant les différents cultes, sont rétablies ».

[21] Art. R. 2213-16 Cgct.

[22] Art. L. 2223-5 Cgct.

[23] Tardieu Ambroise, Voiries et cimetières ; thèse présentée au concours pour la chaire d’hygiène à la Faculté de médecine de Paris et soutenue le 1er mars 1852 ; Paris, Baillière ; 1852. Cela dit, à la suite de cette « thèse » plusieurs auteurs firent remarquer qu’en 1852 la situation des cimetières français était globalement bonne au regard de la salubrité (ce qui n’avait pas été le cas lors de la période révolutionnaire) et qu’il était probable que l’estimable professeur Tardieu en rajoutât peut-être un peu. En ce sens, écrivit-on par exemple après lui : « depuis nombre d’années, surtout à la voix de Tardieu, bons apôtres césariens, matérialistes un instant dévoyés, hygiénistes outrés, édiles parcimonieux, femmes sensibles (sic) et novateurs plagiaires (nunc), se lèvent et se rangent sous le même drapeau. Jeter la pierre et l’anathème aux cimetières semble le bon combat » : Martin François (Félix Jean), Les cimetières et la crémation ; étude historique et critique ; Paris, Baillière ; 1881 ; p. 96. L’auteur (1840-1924), docteur en médecine, fut par ailleurs député de Saône-et-Loire.

[24] Art. L. 2223-42 Cgct.

[25] Art. R. 2213-17 Cgct.

[26] Art. R. 2213-31 Cgct.

[27] Art. R. 2213-34 Cgct.

[28] Art. L. 2223-19 Cgct.

[29] Art. R. 2213-2 et R. 2213-20 Cgct.

[30] Art. L. 2223-18-1 Cgct à propos des cendres.

[31] Art. R. 2213-2-1 et 2223-25 et s. Cgct.

[32] Art. L. 2223-42-1 et R. 2223-22 et s. Cgct.

[33] Art. R. 2213-34-1 Cgct.

[34] Voyez ainsi et par exemple l’arrêté du 05 septembre 2016 « portant agrément de matériaux pour la fabrication de cercueils et de leur garniture étanche non substituable destinés à la crémation » in Jorf du 13 septembre 2016 ou encore le décret n°2018-966 du 8 novembre 2018 « relatif aux cercueils » in Jorf du 10 novembre 2018.

[35] On ne sait si ce « personnage » a influencé la série Twin Peaks puisque c’est le nom qu’y porte également le célèbre psychiatre de Laura Palmer.