02. Quel(s) droit(s) pour les juristes d’Outre-tombe ?

Propos introductifs au Traité des nouveaux droits de la Mort : Droit(s), Mort(s) & Mémoire(s) : Quel(s) droit(s) pour les juristes d’Outre-tombe[1] ? Texte établi au 02 novembre 2014 et non (encore) mis à jour de recherches postérieures sur les sépultures de Liégeois, de Wallon & d’Hauriou en particulier.


par Mathieu Touzeil-Divina
Professeur de droit public à l’Université du Maine,
Directeur du laboratoire Themis-Um (ea 4333),
Président du Collectif L’Unite du Droit

Attention ! La mise en ligne et en accès libre des présents propos n’entraîne pas l’abandon de ses droits d’auteurs. Le projet VDM, en accord avec les auteurs concernés, a ainsi choisi de permettre la diffusion de plusieurs doctrines afin qu’elles puissent être diffusées et discutées le plus largement possible. Pour autant, toute reprise de tout ou partie de ce document implique un respectueux droit de citation pour le travail des auteurs concernés.

En l’occurrence, on pourra citer le présent document comme suit :

Touzeil-Divina Mathieu, « Droit(s), Mort(s) & Mémoire(s) : Quel(s) droit(s) pour les juristes d’Outre-tombe » in Projet Vie-Droit-Mort ; en ligne sur le site droitsdelamort.com ; 2014 ; art. 02.

Droit(s), Mort(s) & Mémoire(s) contemporains. A l’heure des QR code (pour quick response), code-barres de nouvelle génération directement adossés à certaines pierres tombales et placés par la famille ou prévus ante-mortem par le défunt afin de continuer à « communiquer » dans le monde des vivants ou pour présenter les morts, à l’heure où les mondes funéraires s’adaptent à la technologie électronique en offrant des cimetières virtuels[2], des pages sur des réseaux sociaux ou encore des blogs entiers consacrés aux pompes funèbres 2.0, à l’heure où il ne paraît même plus étonnant sinon indécent que se multiplient les selfies, autoportraits photographiques réalisés au moyen de téléphones portables y compris devant les cercueils et lors des cérémonies funéraires, à l’instar des prétendus « grands » de ce monde accompagnant Nelson Mandela à Soweto avant qu’il ne rejoigne sa dernière demeure[3], à l’heure où il existe même un microblog (ou tumblr) éponyme[4] « selfies at funerals », à l’heure où Mort(s) et cadavres sont omniprésents au cœur des écrans de cinéma et de télévision mais où, paradoxalement, la Mort doit être absolument cachée – comme inexistante – de la vie en société[5] en tout cas en France, à l’heure où vont disparaître peu à peu les témoins des deux précédents conflits mondiaux, derniers témoignages des massacres de morts par millions et où conséquemment s’endorment avec eux les anciens monuments aux morts dressés autrefois au cœur de chacune de nos cités[6], il peut paraître étonnant, qui plus est dans un traité juridique, d’interroger la mémoire ou les mémoires des morts en droit.

Le travail de mémoire, de souvenir(s), n’est-il pas étranger à ce mouvement technologique ? Et peut-il vraiment être spécifique au Droit ? Surtout, qu’entend-on par une étude des liens entre mémoire(s), droit(s) et mort(s) ?

Restriction de l’étude aux seuls juristes défunts. Excluons de prime abord une hypothèse évoquée supra : nous ne pensons pas qu’il existe nécessairement une spécificité concernant le travail de mémoire à l’égard des défunts juristes. Il faudrait pour le savoir mener une entreprise et une enquête comparatives bien plus grandes et opposant sociologiquement différentes catégories sociales et professionnelles ce que nous ne pourrons pas réaliser dans le cadre de ces propos introductifs. Nous avons seulement voulu interroger, en restreignant notre recherche aux défunts ayant laissé une empreinte dans le monde national du Droit, le rapport de mémoire(s) établi(s) entre eux et nous.

Quels juristes ? Il convient de se demander ensuite qui sont les juristes dont nous allons parler ? Toujours pour des raisons pragmatiques, il ne peut s’agir de tous les juristes qu’a connu le monde depuis sa création ! Il s’agira « seulement » de juristes nationaux[7] ou étrangers ayant influencé le droit français, décédés au 02 novembre 2014 (jour de sortie officielle du présent Traité) et ayant laissé « une marque » dans le monde juridique et donc dans nos mémoires de juristes par leurs travaux ou leur pratique(s) du Droit. Concrètement, notre liste comprendra ainsi par-delà les spécificités et les chapelles académiques – en parfaite adéquation avec notre conception de l’Unité du Droit[8] – non seulement et notamment des juristes publicistes, privatistes, internationalistes et historiens du Droit mais encore des universitaires (professeurs et associés, enseignants-chercheurs contemporains, chargés d’enseignement), mais aussi des praticiens (Conseillers d’État, magistrats de juridictions différentes et de plusieurs ordres, avocats, notaires, greffiers, grands fonctionnaires ou administrateurs, etc.), ainsi que quelques étudiants et même quelques politiques lorsque, même s’ils n’étaient pas juristes de formation, ils ont nettement influé sur le Droit. Ce sont donc tous les juristes qui sont ici sollicités et ce, principalement depuis la Révolution française (de 1789) à nos jours (afin d’appréhender un panel le plus large possible). Reste alors à définir ce que nous entendrons par juriste(s). Il s’agira, pour reprendre la belle expression des professeurs Arabeyre, Halperin et Krynen[9], de ceux que l’on peut qualifier « d’experts » « en la connaissance et en la pratique » du ou des Droit(s)[10]. Tout licencié en Droit a alors vocation à être reconnu comme tel à l’instar des praticiens et universitaires plus chevronnés dans l’étude et la mise en œuvre juridiques. Et, parmi ces millions de juristes, on restreindra encore le panel d’analyse lors de la confrontation des deux types de mémoires que nous avons sollicitées (cf. infra).

Quelle(s) mémoire(s) ? Nous avons décidé, pour mener cette « enquête », sur les liens entre mémoires, Mort(s) et Droit(s), de solliciter deux formes de mémoires collectives juridiques au moins (étant entendu que chacun pourra réaliser son propre Panthéon juridique avec ses défunts juristes favoris). Il ne s’agira donc pas de la mémoire collective de tout citoyen mais bien de celle des juristes, universitaires et praticiens du Droit. En outre, ces deux mémoires interrogées chercheront à mettre en avant deux éléments communs à tout défunt : la mémoire de ce qu’il fut comme juriste (et généralement la présence encore effective de ses travaux ou de sa doctrine notamment) c’est-à-dire une « mémoire spirituelle » puis une mémoire plus « physique » du lieu où repose(nt) son corps ou ses restes. Étudiant tour à tour ces mémoires que nous qualifions de spirituelle et de physique, nous avons donc dû effectuer quelques restrictions à notre objet. Notre démarche se fonde ainsi sur deux enquêtes, deux panels et deux mémoires.

Panel médiatique de la « mémoire spirituelle ». Il conviendra effectivement d’opérer au sein de l’ensemble des juristes énoncé supra et déjà restreint une seconde sélection afin de la rendre opérationnelle. Concrètement, pour « sonder » ainsi la mémoire collective et intellectuelle des juristes défunts, nous avons procédé à une enquête. Cette dernière a consisté matériellement à dépouiller une quinzaine de revues juridiques toutes sorties ou disponibles pendant le mois d’avril 2014[11] : médias juridiques généralistes (comme le Recueil Dalloz, la Gazette du Palais, les Petites Affiches ou encore la Semaine juridique – édition générale) mais aussi spécialisés en droit public (Rdp, Ajda, Revue administrative, etc.), en droit privé (Rtd. civ., Rdt, etc.) ou encore en histoire du Droit (Rhdfe et Revue d’Histoire des Facultés). Dans ce panel[12], on a examiné – de la façon la plus exhaustive possible – le nombre de citations d’auteurs défunts et, dans cette statistique, on a recherché l’utilisation de ces citations. Il en ressort deux enseignements principaux que nous exposerons dans la première partie de l’étude et qui matérialisent une mémoire spirituelle particulièrement vive et entretenue (I).

Panel sépulcral de la « mémoire physique ». Pour sonder celle que nous avons nommée la « mémoire physique » ou « sépulcrale » des juristes défunts, il nous a fallu constituer un panel de sépultures dans lesquelles reposent aujourd’hui les corps ou les restes d’anciens juristes. Un premier constat s’est alors imposé à nous : la plupart de ces informations (où est le lieu d’inhumation ou de crémation de ces personnages publics ?) fait cruellement défaut. Elle est souvent considérée comme appartenant à la sphère intime et familiale et ce, même si des obsèques officielles ont eu lieu. Il a donc fallu procéder à une enquête minutieuse et parfois longue avec, encore aujourd’hui, quelques mystères non révélés[13]. Il a d’abord été nécessaire de procéder à un choix au sein de l’ensemble des juristes considérés afin de rendre opérationnel ce premier. Indirectement et en essayant d’être le plus objectif possible, nous avons alors dû tenter de répondre à la fatidique question suivante : « s’agit-il d’un « grand » juriste ? » et doit-il conséquemment intégrer le panel constitué ? On conçoit dès son énoncé toute la subjectivité inévitable de cette opération[14] : le panel matérialisé par nos soins reflète nécessairement parfois nos goûts théoriques, nos accointances intellectuelles, nos recherches précédentes et parfois même nos amitiés. Le sachant, nous avons tout fait pour minimiser ce risque. Aussi, pour rendre pertinents les résultats de nos recherches nous avons intégré les cinq contraintes suivantes : trouver des sépultures ou lieux d’inhumation recueillant des cadavres de juristes principalement décédés entre 1789, comme précédemment et ce, jusqu’en 2013, en insistant toutefois sur les deux derniers siècles et en prenant le soin de considérer des universitaires et des praticiens de toutes les branches possibles de l’Unité du Droit. On relèvera cependant quelques incursions dans l’Ancien Régime étant entendu qu’avant 1800, il est souvent difficile de retrouver la trace de nombreux défunts. Toutefois, nous avons tenu à intégrer à notre thésaurus plusieurs juristes importants sinon tutélaires comme Montesquieu (1689-1755) et d’Aguesseau (1668-1751) ou encore plus symboliques comme Saint-Yves (1250-1333), le « patron » des « hommes de Loi » (principalement des avocats) et Sainte-Radegonde (520-587) pour ses premiers combats, utilisant la norme, pour les droits des femmes. En outre, nous avons essayé de couvrir l’ensemble des régions françaises (et parfois même hors de nos frontières lors de décès à l’étranger) et avons tenté d’opérer un panel composé d’hommes et de femmes[15] juristes. Enfin, nous avons relevé pour chaque sépulture trouvée plusieurs informations quant à l’état de conservation et d’entretien, quant à la situation de la tombe et à la lisibilité des informations qui y étaient inscrites à propos du défunt ou encore s’agissant de la présence d’un éventuel signe religieux. Il ressort de cet état des lieux, outre une carte et des tableaux, plusieurs enseignements – parfois étonnants – concernant l’entretien de cette mémoire plus « physique » ou matérielle des juristes disparus (II).

Dès maintenant, on notera en outre que des deux panels constitués, le premier comprend nécessairement des juristes ayant[16] « laissé des œuvres attestant leur inscription dans la progressive évolution de notre Droit », c’est-à-dire des hommes et des femmes « célèbres » aux esprits contemporains alors que le second panel, sépulcral, comprend non seulement ces « grands » juristes mais encore ceux du « quotidien », parfois moins connus mais tout aussi juristes et dont la visibilité et l’empreinte dans les cimetières est manifeste.

I. La « mémoire juridique spirituelle » : vive, cultuelle & entretenue

Lorsque l’on étudie celle que nous nommons la mémoire spirituelle imprimée par les souvenir des juristes défunts, il faut d’abord rappeler la présence vive et entretenue de ceux-ci dans la Cité (A) avant de constater même qu’un véritable « culte » s’organise parfois à leurs égards (B).

A. Au-delà de la Mort, une présence juridique vive et entretenue. Les juristes défunts dans la Cité

Rues & monuments dans la Cite. Sans aller jusqu’à affirmer avec un certain goût de la provocation que les juristes sont ceux qui sont les plus honorés dans les monuments dressés par les communes au cœur de nos cités, il convient de remarquer toutefois quelques exemples portés à notre connaissance de juristes (souvent universitaires, avocats et hommes politiques) dont une statue ou un buste a été érigé non pas devant une Université ou un lieu de Justice(s) mais dans un parc ou sur une place : en plein cœur d’une grande commune comme Orléans célébrant Pothier ou d’une plus modeste comme Septmoncel dans le Jura honorant Dalloz. On trouve d’ailleurs encore quelques témoignages de ces honneurs rendus par les collectivités dans de vieilles cartes postales ce qui n’indique pas pour autant que les monuments représentés aient tous été conservés (ce qui n’est du reste pas le cas selon nos sources). On citera alors, à la Prévert, et outre les deux premiers exemples, la statue de Charles Demolombe (1804-1887) à Caen (statue érigée car les Caennais regrettaient de voir la dépouille du défunt inhumée hors de leurs murs à Villers-Cotterêts), le buste de Jules Liégeois (1833-1908) à Damvillers, sa commune de naissance, ou encore les monuments érigés en la mémoire de Bancel (1822-1871) à Valence, de Paul d’Estournelles de Constant au Mans (1852-1924) et de Jacques de Malleville (1741-1824) à Domme en Dordogne. Plus classique ou compréhensible est la statue du « greffier de l’usage », Antoine Fabre (1557-1624) à Chambéry, puisqu’elle est placée devant le Palais de Justice. On en a reproduit trois [17] :

Citons également le nombre impressionnant de rues, boulevards et autres voies de communications dédiés à des juristes défunts et qui nourrissent, de facto, les mémoires collectives de nos contemporains même lorsque leurs habitants ignorent tout de la vie et des œuvres des juristes ayant donné ce nom à leurs lieux de résidence. Toutes les communes de plus de 3000 habitants ou presque ont ainsi, en France, une rue au nom d’un de leurs anciens maires (qui a pu être notable, ancien avocat, magistrat, juriste, député, etc.) et si les politiques ou les militants des droits de l’Homme (comme Olympe de Gouges (1748-1793) et sa rue éponyme à Nantes) sont souvent à l’honneur, il y a même des magistrats, des hauts administrateurs et des universitaires qui ont donné leur nom à des voies publiques ainsi qu’on peut le découvrir pour la rue Frédéric Taulier (1806-1861) à Grenoble (mais il en fut également maire !), pour la rue Pellegrino Rossi (1787-1848) à Genève, pour celle dédiée au doyen Proudhon (1758-1838) (et non à son anarchiste de cousin) à Dijon, pour le boulevard Montesquieu (1689-1755) à Roubaix, l’avenue Léon Duguit (1859-1928) à Pessac ou encore pour la voie Sieyès (1748-1836) de Crosne et plus récemment, sur les quais parisiens de Seine, pour la promenade René Capitant (1901-1970) ou à travers les rues Jean Carbonnier (1908-2004) de Poitiers ou du Recteur Prélot (1898-1972) de Dambelin. A travers de très nombreuses rues et plusieurs monuments dédiés, il apparaît nettement (sans prétendre à l’exhaustivité qui serait impressionnante) que les juristes ne sont pas oubliés de nos Cités dans lesquelles leurs noms raisonnent et ce, plus fortement, ce que l’on comprendra aisément, lorsqu’ils en ont été des élus locaux engagés.

Amphithéâtres, bustes, tableaux & citations dans la Faculté. A plus forte proportion encore, les noms des juristes défunts sont célébrés et mentionnés au cœur de nos anciennes Facultés devenues Ufr de Droit. Il en va ainsi des amphithéâtres placés sous leurs patronages et parmi lesquels on mentionnera, à la Prévert, ceux de l’abbé Gregoire (1750-1831) à Cergy-Pontoise (site des Chênes), de Portalis (1746-1807) à Aix-en-Provence, de Trudaine (1703-1769) à Clermont-Ferrand, de Couzinet (1900-1977), de Marty (1905-1973) et de Mestre (1874-1960) à Toulouse, d’Estournelles de Constant (1852-1924) au Mans, de Roubier (1886-1963) à Lyon, de Cassin (1887-1976) à Lille, de Geny (1861-1959) à Nancy, de Vedel (1910-2002) à Sceaux, de Tocqueville (1805-1859) à Caen, d’Esmein (1848-1913) à la Rochelle et tout récemment de Carcassonne (1951-2013) à l’Université de Paris Ouest (Nanterre)[18]. Parfois ce ne sont pas des amphithéâtres mais de plus modestes « salles » (à l’instar des « Salle René Savatier » (1892-1984) de Poitiers et « Jean Gaudemet » (1908-2001) de Paris Sud) qui leur sont réservées. Il arrive même, comme à Nice (avec Trotabas (1898-1985)), à Bordeaux (avec Duguit (1859-1928)) ou encore à Toulouse (avec Marty (1905-1973)) que l’avenue conduisant à l’Université porte le nom d’un célèbre juriste, généralement au moins doyen ou président de l’Institution. Notons qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes une polémique s’est matérialisée à Bordeaux précisément à propos du nom d’un des amphithéâtres de son Université. En effet, plusieurs personnes ont suggéré que soit renommé le lieu auquel le doyen Bonnard (1878-1944) a donné son patronyme et ce, du fait du passé vichyste actif et assumé de ce juriste. Le conseil d’administration de l’établissement doit y réfléchir et éventuellement demander à une commission d’étudier ce dossier. Si ce pas était alors franchi, ne faudrait-il pas faire de même par exemple à Poitiers avec la salle dédiée à Marcel Waline[19] (1900-1982) ? Parfois même, sont implantés et conservés (ce qui est plus rare) entre deux salles, un escalier, un amphithéâtre ou même au cœur d’un bosquet, des bustes et / ou des monuments de pierre ou de bronze élevés à la gloire (passée) des anciens juristes ayant illuminé ou auréolé les murs ou bancs d’une Faculté donnée. Il en est ainsi à Toulouse avec le désormais célèbre buste de Maurice Hauriou[20] (1856-1929) situé dans le parc de l’ancienne Faculté ; à Poitiers avec le buste de « l’Aigle de la procédure », Pierre Boncenne (1774-1840), qui surplombe l’amphithéâtre Jean Hardouin et scrute ses étudiants ou spectateurs ; à Paris II avec le buste d’Emile Boissonnade (1825-1910) qui orne la galerie conduisant à la salle des professeurs ; à Rennes avec le buste de Poullain Duparc (1703-1782) conservé dans la bibliothèque Planiol (1853-1931) ou même encore à Beyrouth (Université Saint-Jospeh) où l’on peut toujours admirer le buste du protecteur et pionnier professeur Huvelin (1873-1924) de l’Université de Lyon. Plus nombreux encore sont les tableaux et désormais les photographies des doyens et / ou des professeurs qui ont illustré une Université et se retrouvent affichés et exposés sur les murs d’une salle du Conseil ou des délibérations (comme à Poitiers par exemple)[21]. Ainsi, dans les Facultés de Droit, étudiants et enseignants vivent-ils presque tous, même dans les Universités dites nouvelles, sous le poids et le regard de leurs aînés. Leur mémoire est loin d’être éteinte. Elle est au contraire vive et entretenue.

B. Au-delà de la Mort, un culte voué au « Cercle des juristes disparus ». Citer les juristes défunts

Citer les juristes défunts. Pour analyser, à partir du panel médiatique exposé supra (§ 4), l’impact des citations de juristes défunts dans nos médias juridiques contemporains, nous avons procédé au dépouillement de 15 revues. Concrètement ce sont 3321 pages publiées ou disponibles en avril 2014 qui ont été passées au crible de notre examen. Sur ces milliers de pages, on relève (avec quelques oublis regrettables mais possibles) a priori la citation de 5809 juristes décédés au 01 avril 2014 soit une moyenne, très honorable, de 1.7 juriste (sic) par page.

Autrement dit, et sans rentrer pour l’instant dans le détail, force est de constater que la citation doctrinale ou l’appel spirituel aux juristes défunts n’est pas « mort » ou éteint contrairement à ce que l’on aurait pu penser. C’est au contraire peut-être parfois même (on y reviendra) un « passage obligé » que d’ancrer une partie de ses propos, y compris lorsque l’on fait du droit ultra positif, dans le passé et dans la continuité d’une lignée de prédécesseurs auxquels on a plaisir à se rattacher ou à se réclamer. La mémoire spirituelle et la doctrine juridique(s) ne sont donc pas du tout défuntes.

Un culte uniquement favorable aux « Dieux » du Panthéon juridique ? C’est le second constat global que nous proposons comme fruit de notre enquête : sur plus de 5800 citations référencées, 5519 le sont en effet dans un sens uniquement mélioratif ou a pari soit dans 95 % des hypothèses. Cela signifie très simplement que lorsqu’un juriste évoque un auteur mort, c’est presque toujours pour honorer ce qu’il a dit et – généralement – pour se réfugier derrière sa pensée qui apparaît telle un bouclier doctrinal d’autorité. En invoquant le doyen Carbonnier (1908-2004) en droit civil, le doyen Favoreu (1936-2004) ou Maurice Hauriou (1856-1929) en droit public, le juriste et auteur contemporain essaie d’asseoir sa propre démonstration en invoquant une protection doctrinale. Finalement, ce qu’il avance ne peut qu’être « vrai » puisqu’un « grand juriste » l’a également dit ou pensé avant lui. Rares sont conséquemment (5%) les hypothèses de citations a contrario des auteurs défunts. Pourquoi ? On se permettra deux hypothèses ou éléments de réponse.

D’abord, parce que le combat est inégal et qu’engager une controverse avec un mort est relativement asymétrique (ce dernier ne se défendant plus) mais aussi et surtout, croyons-nous, parce que la plupart des auteurs contemporains cherchent uniquement à asseoir leur démonstration ou point de vue et que s’opposer à un grand juriste va rarement les mener sur cette voie. De surcroît, sur les quinze revues spécialisées et généralistes de notre échantillon, seules 06, en avril 2014, contenaient des citations a contrario. Neuf d’entre elles, conséquemment, ne consacrent des juristes défunts qu’afin de les encenser et / ou de rappeler leurs gloires. Alors, un véritable « culte » des « juristes disparus » semble s’opérer et parmi les plus adulés de ce Panthéon, citons notamment (toujours pour avril 2014 et dans les quinze revues dépouillées) par disciplines puis par nombre de citations : les doyens et professeurs Vedel (1910-2002), Favoreu (1936-2004) et Carcassonne (1951-2013) (pour le droit constitutionnel), Hauriou (1856-1929), Waline (1900-1982) et le président Odent (1907-1979) (pour le droit administratif), les universitaires Carbonnier (1908-2004), Ripert (1880-1958) et Planiol (1853-1931) ou encore René Savatier (1892-1984) pour les droits civil et privé au sens large mais aussi, de façon plus théorique, Hans Kelsen (1881-1973) et Rudolf von Jhering (1818-1892) qui ne sont pas, à proprement parler, des juristes nationaux. Parfois même, on en vient à citer un des maîtres plus anciens à l’instar de Montesquieu (1689-1755) ou encore de Sieyes (1748-1836).

Avec chacun une centaine d’occurrences, les deux « champions » de ce sondage sont, sans conteste, Maurice Hauriou (1856-1929) et Jean Carbonnier (1908-2004) ce qui, dans les deux cas, n’est que peu étonnant au regard de leurs puissances doctrinales reconnues. Pour le siècle précédent, les deux « dauphins » de notre concours sont pour le droit public, Adhémar Esmein (1848-1913) et pour le droit privé Gabriel Baudry-Lacantinerie (1837-1913) avec seulement une dizaine d’occurrences.

Ainsi, la plupart des auteurs cités sont-ils principalement du XXe siècle « seulement ».

Revues de droit positif & d’histoire du Droit. On découvre également, parmi les médias interrogés, quelques contre-exemples que l’on s’attendait, sciemment, à trouver.

En effet, au sein des quinze revues du panel, deux (la Revue Historique de Droit Français et Etranger (Rhdfe) et la Revue d’Histoire des Facultés de Droit et de la Culture juridique (Rhfdc)) font totalement bouleverser nos statistiques. A elles deux – seules – elles contiennent plus de 4700 des 5809 citations soit plus de 81 % de l’appareil. Conséquemment, si on les retire de notre étude, il ne reste sur 13 revues juridiques contemporaines parues en avril 2014 qu’un petit millier de citations pour 2654 pages, soit une moyenne de 0.41 juriste (sic) par page, ce qui n’a plus rien à voir avec la moyenne précédente de 1.7.

En outre, on relève que dans les rares 237 citations réalisées a contrario (c’est-à-dire afin de s’opposer à la doctrine d’un juriste défunt), 220 se situent dans nos deux revues historiques (soit près de 93 %). Ainsi, ce sont très majoritairement les études historiques qui osent contrer l’opinion des juristes défunts et qui, ce faisant, dépassent le XXe siècle principalement cité dans les revues de droit positif.

Pourquoi ? Vraisemblablement car les revues d’actualités juridiques ne prennent plus le temps ou n’ont plus l’envie de témoigner des recherches et des évolutions doctrinales mais ont davantage pour objectif, commercialement compréhensible, de « coller » à l’immédiateté juridique normative et prétorienne. En outre, ceux qui y écrivent ne sont pas toujours férus d’histoire du Droit ce qui n’est, par définition, pas le cas s’agissant des auteurs des deux revues dites historiques et ici analysées.

Pour résumer cette distorsion entre les revues historiques et de droit positif, on propose les graphes suivants :

Le premier (ci-dessus) montre bien la différence de fréquence de citations des juristes défunts : ces derniers sont moins nombreux (0.4 par page) dans les revues de droit positif (mais ce qui reste un chiffre tout à fait significatif et positif ou non négligeable) et sont en revanche plus de 07 par page dans les revues historiques (savoir 17 fois plus). Les seconds graphes (ci-dessous) témoignent des manières de citer et de l’utilisation des auteurs a pari ou a contrario. Là encore, la différence entre revues d’actualités juridiques et revues dites historiques est frappante :

On croit pouvoir tirer deux enseignements principaux de ce sondage de la « mémoire spirituelle » et doctrinale en avril 2014 : d’abord, il apparaît que les doctrines juridiques de nos prédécesseurs ne sont en rien mortes. Leur mémoire est vive et entretenue. On se plaît, encore en 2014, à citer d’anciens juristes à l’instar de Raymond Carre de Malberg (1861-1935) en droit constitutionnel ou plus récemment des professeurs Cornu (1926-2007) et Drago (1923-2009) en droit privé et public[22].

De plus, il est manifeste que les citations (y compris en revues dites historiques) se font à une écrasante majorité de façon a pari et non a contrario comme s’il était impossible de contrer la pensée des défunts. Faut-il y voir de la part de nos contemporains juristes vivants un respect – voire un culte – voué à nos anciens ? Nous ne le croyons pas.

Cette dimension existe évidemment parfois mais il s’agit surtout, croyons-nous, d’une autre utilisation de cette « mémoire spirituelle ».

Une utilisation à des fins très personnelles de la mémoire spirituelle. Effectivement, nous pensons et affirmons que si les juristes actuels citent aussi fréquemment les défunts qu’ils considèrent comme des « grands juristes » ce n’est pas (seulement) pour leur rendre hommage mais – surtout – pour valoriser les démonstrations et propos de ces seuls premiers. Autrement dit, si l’on cite majoritairement un juriste défunt, c’est avant tout pour servir sa propre cause et sa démonstration. En se rattachant à une lignée de célèbres juristes, on espère asseoir sa propre autorité en se réclamant de celle d’un autre, désormais indiscutable. En ce sens, le nombre de citations évoquant en 2014 le regretté Guy Carcassonne (1951-2013) est considérable. Il est a priori plus cité aujourd’hui (alors que sa mort est encore récente) qu’il y a seulement deux années et ce, toujours afin de se situer dans sa lignée et non pour contrer ses opinions. De son vivant, en revanche, il n’était pas rare, loin s’en faut, soit qu’on l’ignorât soit qu’on le contestât. Avec la Mort, semble arriver – y compris en doctrine juridique – la consécration ce qui est évidemment – pensons-nous – dommageable car les juristes, une fois décédés, ne sont pas exempts de critiques quant à leurs pensées. Ce phénomène quasi cultuel est évident chez Maurice Hauriou dont les écrits sont comme divinisés et presque intouchables ce à propos de quoi nous nous sommes récemment exprimés dans les Miscellanées qui ont été publiées sous son patronyme[23]. Relevons aussi qu’en 2014, encore, certains concours comme ceux d’agrégation en droit (privé en l’occurrence) vont jusqu’à officiellement et explicitement indiquer aux candidats que ne seront cités et commentés que des auteurs morts[24] ! S’il existe manifestement une mémoire spirituelle entretenue des juristes défunts à travers nos rues, nos amphithéâtres mais aussi – et surtout – par le biais des écrits contemporains qui les citent et rendent hommage à leurs travaux (fut-ce en les mythifiant parfois ou en en faisant une utilisation plus personnelle), s’il est évident pour qui les fréquente que les patronymes précités d’Hauriou (1856-1929), de Carbonnier (1908-2004) ou encore de Kelsen (1881-1973) notamment sont cités chaque jour ou presque dans nos anciennes « Facultés de Droit », qu’en est-il de la « mémoire physique » envers leurs dépouilles et restes mortels ?

II. La « mémoire juridique physique » : sépulcrale, sociétale & délaissée

Attention ! La mise en ligne et en accès libre des présents propos n’entraîne pas l’abandon de ses droits d’auteurs. Le projet VDM, en accord avec les auteurs concernés, a ainsi choisi de permettre la diffusion de plusieurs doctrines afin qu’elles puissent être diffusées et discutées le plus largement possible. Pour autant, toute reprise de tout ou partie de ce document implique un respectueux droit de citation pour le travail des auteurs concernés.

En l’occurrence, on pourra citer le présent document comme suit :

Touzeil-Divina Mathieu, « Droit(s), Mort(s) & Mémoire(s) : Quel(s) droit(s) pour les juristes d’Outre-tombe » in Projet Vie-Droit-Mort ; en ligne sur le site droitsdelamort.com ; 2014 ; art. 02.

Afin d’examiner cette « autre » mémoire, nous décrirons d’abord de façon générale la situation, dans les cimetières, des sépultures de juristes (A) avant de constater – à regrets parfois – l’abandon partiel ou relatif dans lequel certaines tombes de « grands juristes » a été opéré (B).

A. Les juristes et leurs positions sépulcrales :
sociétale et domaniale

« Dis, t´es paume comme un confetti dans une allée du Père Lachaise » ! C’est par ces mots que se termine le texte « T’as l’air perdu » d’Allain Leprest que chante admirablement Francesca Solleville. A priori, en effet, lorsque l’on se rend dans un cimetière, aujourd’hui en métropole[25], c’est pour honorer un proche, le pleurer, s’y recueillir et non pour une autre raison. Il en va cependant différemment lorsque le lieu (comme au Père Lachaise, à Paris, justement comme dans la chanson) est classé au titre des monuments historiques. Alors, la venue au cimetière peut s’apparenter à une promenade, à une découverte dans un véritable musée à ciel ouvert où se côtoient les sépultures d’anonymes et de célébrités. Si l’on met de côté l’hypothèse de groupuscules gothiques ou autres, il existe en outre – y compris hors des cimetières reconnus monuments historiques – des passionnés d’histoire(s) et de mémoire(s) qui déambulent, hors des raisons premières d’inhumations et de dispersions des cendres d’un proche, dans ces nécropoles. C’est ainsi que seul ou accompagné nous avons arpenté pendant plusieurs mois et même années les cimetières de France (et parfois même hors de nos frontières) afin de sonder la « mémoire physique » des juristes défunts. Quel a été notre objectif ? Comment avons-nous constitué notre panel d’étude(s) et quels critères avons-nous retenus pour procéder à ce sondage ? Il est rare dans les guides officiels ou officieux (lorsqu’ils existent) des cimetières que soient présentés des juristes au titre des « célébrités » défuntes. Plus souvent, on mentionne (sur les différents sites dédiés[26] ou à travers les prospectus officiels des mairies[27]) les dernières demeures d’artistes (peintres, sculpteurs, compositeurs, chanteurs ou plus récemment des personnages de la télévision et du cinéma), de penseurs (comme des philosophes ou des essayistes) et d’hommes et de femmes politiques (au sens noble et étymologique du terme et non seulement s’agissant des élus). Dans cette dernière catégorie, on trouve du reste fréquemment des juristes ou des hommes et des femmes qui ont influencé le Droit à l’instar d’un Waldeck-Rousseau (1846-1904) au cimetière de Montmartre ou d’une Hubertine Auclert (1848-1914) au Père Lachaise. Et, même si le cimetière est situé dans une petite commune (comme à Châteauneuf pour Favoreu (1936-2004) ou à Wolxheim pour Carre de Malberg (1861-1935)), le juriste qui pourrait être présenté comme une voire la seule « célébrité locale » n’est pas mis en lumière. En règle générale, les seuls qui reçoivent des honneurs continus et des attentions sont les juristes qui, par ailleurs, ont été d’anciens élus locaux ou nationaux (qu’ils soient professeurs de droit comme Taulier (1806-1861) à Grenoble, avocats comme Maître Moro de Giafferi (1878-1956) ou magistrats comme le président Leydet (1845-1908) à Aix-en-Provence).

Dans les autres hypothèses, les tombes des juristes ne sont pas véritablement aisément signalées et il faut donc s’adonner avec patience et ténacité aux recherches conséquentes. Heureusement (et l’on y reviendra infra), l’une des caractéristiques des tombes de juristes est que – la plupart du temps – elles ne sont pas ou peu discrètes. Bien au contraire, elles sont souvent des témoignages revendicatifs et expressifs ce qui les rend souvent faciles à retrouver dans une nécropole (parce qu’elles sont imposantes ou en première ligne d’une division voire à l’entrée ou au centre du cimetière notamment) mais encore faut-il – évidemment – savoir dans quelle nécropole chercher !

Épitoge(s) & Thesaurus. Concrètement, notre étude des tombes de juristes défunts repose sur l’examen de 550 sépultures[28] principalement réparties sur le territoire métropolitain et comprenant des hommes et des femmes décédés au cours des sept derniers siècles. Pour matérialiser notre thesaurus nous avons consigné plusieurs informations : les prénoms et le patronyme du défunt, ses fonctions, ses dates et lieux de naissance et de mort, le lieu de son inhumation[29], sa localisation précise au sein du cimetière, le numéro éventuel de sa concession ainsi que la mention – sur la pierre tombale elle-même – de différents renseignements tels que l’identité, les fonctions éventuelles du mort lorsqu’il était en activité, l’expression d’une appartenance à un culte religieux ainsi que l’aspect général de la sépulture (entretenue ou non, présentant de la mousse, des dégradations, etc.). L’ensemble forme un imposant tableau riche de milliers d’informations à traiter. De surcroît, outre ce relevé méthodique, nous avons procédé – pour les 550 sépultures – à la prise de plus de 600 photographies conséquentes au cours des années 2013 et 2014. Il n’est, en l’état, pas possible de publier l’intégralité de ces clichés pour lesquels nous ne disposons pas de l’ensemble des autorisations nécessaires[30] mais nous travaillons actuellement à l’exploitation et à la présentation de certains d’entre eux[31]. Pour l’heure, nous en avons sélectionné dix. Sur chacune des photographies, on relèvera un dénominateur commun : une épitoge rouge placée devant, sur ou à côté de la sépulture. Il s’agit par ce symbole (outre le signe d’affiliation du projet aux Éditions L’Épitoge du Collectif L’Unite du Droit) de matérialiser l’appartenance du défunt au monde des juristes et ce, même si concrètement tous n’étaient pas docteurs en Droit ce que normalement ce port implique. De facto, c’est un peu comme si nous avions décerné de façon honoris causa à tous ces défunts une forme de reconnaissance, de doctorat honoraire et en somme d’eucharistie juridique.

Partant, nous avons eu à l’esprit cette citation d’Achille Mestre[32] (1874-1960) lorsqu’il évoque le fait que la toge et l’épitoge que les juristes se font confectionner seront celles qui recouvriront leur cercueil avant le dernier voyage[33]. Mais, pour ce faire, quels juristes avons-nous concrètement retenus ? Nous avons procédé en trois temps :

  • D’abord, nous avons dressé une liste de celles et de ceux que nous pouvions considérer comme des « grands juristes » (au sens expliqué supra) et avons recherché les lieux de leurs sépultures (dans les archives, les journaux, les ouvrages, en interrogeant les mémoires et les conservations de cimetières).
  • Nous avons alors constaté que de nombreuses informations étaient inaccessibles ou lacunaires et que dans plusieurs hypothèses, il était – pour nous et avec nos seuls moyens dans le temps imparti de notre étude – très difficile de retrouver les lieux de plusieurs juristes célèbres et célébrés et ce, à l’instar par exemple du publiciste Louis Rolland[34] (1877-1956), du vice-président du Conseil d’Etat Edouard Laferrière[35] (1841-1901) ou encore des civilistes Ernest Wallon[36] (1851-1921) et Julien Bonnecase (1878-1950). Autrement dit, s’il est relativement aisé de retrouver les dates et lieux de décès d’une personne, son lieu d’inhumation (même lorsqu’il est signalé dans les journaux d’époque) semble demeurer cantonné à la sphère familiale et privée.
  • Enfin, aux trois premières centaines de juristes que nous désirions intentionnellement et précisément retrouver, nous avons ajouté, au fil de nos investigations, d’autres centaines de sépultures relatives à des experts du Droit moins connus. Ainsi avons-nous rassemblé non seulement de « grands juristes » mais aussi des praticiens du quotidien : notaires, avocats, greffiers, magistrats judiciaires, administratifs, des comptes ou encore des prud’hommes et mêmes quelques étudiants[37].

Négation de l’Égalité ? Cela dit, voilà un premier paradoxe. Alors que la Mort est l’incarnation même du principe d’Égalité, ce que plusieurs arts[38] ont traduit notamment dans de célèbres « danses des morts », alors que chacun d’entre nous – y compris le lecteur et l’auteur des présents propos – a déjà entamé le compte à rebours qui le sépare de sa dernière minute sur terre, cette Égalité devant la Mort ne serait pas si entière que cela s’agissant des sépultures de juristes. En effet, si l’Égalité devant le phénomène physique et médical funeste est indiscutable, l’Égalité des morts au cœur du cimetière l’est davantage (discutable). De fait, alors qu’a priori, le prix d’une concession dans un cimetière est le même (pour des dimensions et des durées contractuelles comparables) quel que soit l’emplacement de la sépulture[39] et ce, puisque seul compte le cimetière dans sa globalité, il devrait être interdit de proposer des tarifs de concessions différenciés en fonction du lieu de la sépulture dans l’espace public : que vous soyez inhumés face à la grille d’entrée, noyé au milieu d’une division, près de la fosse commune, du cabanon des services municipaux ou en bordure d’allée arborée, le tarif devrait être équivalent. Pourtant, chacun pourra constater en se rendant dans un cimetière que certaines sépultures sont largement plus visibles que d’autres du fait – précisément – de leur position géographique, par exemple, en bordure de division ou d’allée. C’est ce même constat qu’ont dressé de nombreuses municipalités en prenant acte du fait que certaines zones étaient plus recherchées et pouvaient donc être plus onéreuses à la location. Ce critère supplémentaire non prévu par la Loi nous semble illégal et nous prônons sa suppression[40], il est pourtant très fréquent et sauf erreur n’est que peu contesté car la différenciation opérée se fait sur des éléments dits objectifs. Elle réintroduit, ce faisant, une distinction nette entre riches et pauvres, seuls les premiers ayant accès aux bordures de divisions et – sociologiquement – les juristes en furent (et en sont encore) fréquemment.

Une position domaniale des sépultures à l’image du protocole des vivants. Au premier rang de la société, en province peut-être plus encore qu’à Paris et jusque dans les années 1970 au moins, les juristes (principalement magistrats et universitaires mais aussi avocats renommés comme les Bâtonniers) occupaient l’un des premiers rangs protocolaires. Lors des cérémonies officielles, à l’Eglise jusqu’en 1905 et même parfois après, lors des événements politiques et culturels, ils se plaçaient aux premiers rangs des solennités. D’aucuns étaient d’ailleurs très volontaires en matière de respect de ces règles de préséance et n’hésitaient pas, lorsqu’elles venaient à être contestées ou foulées, à les rappeler puis à les faire appliquer[41]. On constatera alors, tout simplement en se promenant dans les cimetières français, que les premiers rangs de ceux-ci (autrement dit les sépultures des bordures de divisions et d’allées ou les ronds-points comme avec la sépulture nantaise du magistrat Janvier de la Motte (1802-1877)) sont fréquemment peuplés de juristes : grands professeurs, magistrats, notaires, célèbres administrateurs ou encore avocats ; témoignant alors tous de la richesse – matérielle – de leurs familles ou de leurs propres patrimoines. Il en est ainsi de très nombreux exemples[42] comme pour les professeurs poitevins Théophile Ducrocq (1829-1913) et Louis-Olivier Bourbeau (1811-1877) (par ailleurs ancien ministre de l’Instruction Publique) inhumés de conserve (puisque liés par un mariage entre le premier et la fille du second) en bordure de section au cimetière dit de Chilvert (Poitiers) et au même cimetière pour les familles Boncenne et Pervinquière, pour Louis Wolowski (1810-1876) et Alexandre François Vivien de Goubert (1799-1854) au Père Lachaise (Paris) ou encore pour la famille de Frédéric Schützenberger (1799-1859) au cimetière de Sainte-Helène à Strasbourg[43]. D’autres comme Exupère Caillemer (1837-1913), au cimetière dit « dormant » des quatre nations de Caen ou comme Charles Demolombe (1804-1887) au cimetière Bourdon de Villers-Cotterêts sont inhumés en bordure même du cimetière, le long du mur, ne donnant ainsi à voir derrière leur sépulture qu’un rideau de pierres et aucune autre « personne ».

Certains, lorsqu’ils le peuvent et / ou le veulent, développent encore l’aspect sociologiquement et monumentalement impressionnant en se faisant construire de véritables chapelles, comme celle de la famille de Cléophas Madeleine Rodolphe Dareste de la Chavanne (1824-1911) au cimetière du Montparnasse, de Désiré Dalloz (1795-1869) au Père Lachaise, du magistrat horticulteur Simon (1834-1913) à Nancy ou encore de Denis Lanjuinais (1753-1827) dans cette même nécropole. Citons également, au titre des monuments, l’utilisation relevée des calvaires ou croix monumentales (notamment en Bretagne et par exemple à Rennes au cimetière du nord) ou bien des enfeus (hors-sol) particulièrement lorsqu’ils ne sont pas réalisés dans des régions, comme à Toulouse ou même à Nantes (au cimetière Miséricorde), où ils sont de tradition et où ils deviennent alors des éléments d’ostentation. Il en est ainsi de celui réalisé pour Roederer (1754-1835) au Père Lachaise à Paris. De même peut-on envisager les constructions d’obélisques à l’instar de celui dressé au Mans (au cimetière de l’ouest) en faveur de René Levasseur de la Sarthe (1747-1834) qui rivalise, en taille, avec celui de l’avocat Raymond de Sèze (1748-1828) au Père Lachaise.

Si l’on reprend le tableau de nos 550 sépultures, on s’aperçoit ainsi que 79 % d’entre elles sont considérées comme ostentatoires voire très ostentatoires et / ou monumentales : qu’il s’agisse de chapelles érigées en faveur d’une famille (comme pour Le Rat de Magnitot (1810-1890) dans le petit village de Saint-Gervais ou pour Charles Rau (1803-1877) au Père Lachaise), de plaques de marbre d’une dizaine de mètres carrés posées au sol ou scellées contre un mur (comme pour Michoud (1855-1916) à Grenoble), d’obélisques (comme pour d’Aguesseau (1668-1751) devant l’église parisienne d’Auteil) ou de colonnes (comme pour le Conseiller de Bresson (1802-1865) au Montparnasse), de statues (comme pour le sénateur et Maître Donadei (1875-1933) à Nice), de bustes (comme pour Isambert (1792-1857) au cimetière de Montmartre) ou encore d’enfeus (comme pour le doyen Deloume (1836-1911) à Toulouse) parfois même posés sur des promontoires afin de les surélever encore au-dessus des vivants et des autres morts[44]. Ces exemples concordants et quantitativement importants au sein de notre enquête traduisent bien cette idée d’une volonté sociologique et protocolaire de nombreux juristes défunts – soit de la part expresse de ces derniers soit du fait de leurs familles – de demeurer au premier rang de la société – fut-elle celle des morts. Sans aller jusqu’à invoquer Bourdieu on retrouve ici un sentiment bien connu de la sociologie propre aux juristes : leur milieu social bourgeois[45] (noble parfois) et financièrement relativement aisé. On notera d’ailleurs que dans quelques hypothèses où, comme pour le doyen Foucart (1799-1860) au Père Lachaise, le juriste n’était pas financièrement « à l’aise », ses proches ont tenu à ce qu’il figurât néanmoins au premier rang d’une division. Il fallait alors manifestement (au moins entre 1800 et 1950 quantitativement) respecter – après la Mort – les apparences protocolaires du monde des vivants.

Géographie des sépultures. Nous avions songé à réaliser une carte des sépultures de juristes mais cette entreprise s’est avérée peu utile du fait de la très forte concentration sépulcrale dans les principales grandes villes de France. L’explication sociologique en est simple et vaut pour les juristes comme de façon générale : on meurt davantage effectivement, surtout depuis les cinquante dernières années, en ville et, à quelques exceptions près (comme l’existence d’une maison de campagne ou d’une sépulture de famille), les juristes vivent et meurent dans les communes peuplées dans lesquelles ils ont exercé. Au premier rang de ces agglomérations, les cimetières parisiens occupent une forte place avec un premier rang consacré uniquement aux cimetières du Père Lachaise et du Montparnasse dans lesquels reposent la plus forte concentration de défunts de notre panel ce qui n’est pas trop étonnant lorsque l’on sait l’attraction qu’exerce la capitale sur l’Université et le Barreau[46]. Parmi les grandes villes visitées, on citera par ordre de grandeur (en nombre de sépultures relevées) : Aix-en-Provence, Rennes, Nancy, Poitiers, Toulouse, Dijon, Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Grenoble, Caen, Marseille, Clamecy, Lille et Nice. On ne s’étonnera pas de constater que les toutes premières sont – historiquement – celles qui furent les neuf premières Facultés de Droit[47] de l’Empire, du Royaume puis de la République lors de la re création de l’Université en 1806. A titre plus anecdotique, on signalera – à l’opposé – l’existence de villages de quelques centaines d’habitants également recensés et au cœur desquels on rencontre également quelques-uns de nos plus importants juristes avec, par exemple, chez les publicistes universitaires, Nonac (en Charente) où repose Maurice Hauriou (1856-1929), Châteauneuf-le-rouge au pied de la Sainte-Victoire en Provence où se trouve la sépulture du doyen Favoreu (1936-2004), Wolxheim en Alsace avec le professeur Carre de Malberg (1861-1935)), Elancourt dans le Val d’Oise avec le Conseiller d’Etat Bouchene-Lefer (1796-1872), Eauze dans le Gers avec le professeur de Laubadere (1910-1981) ou encore Noyers-sur-Serein (dans l’Yonne) où fut inhumé l’administrativiste Cabantous (1802-1872) et Dambelin (dans le Doubs) avec le sénateur Prelot (1898-1972). On signalera même le cas vendéen de la commune de Talmont (devenue Talmont-Saint-Hilaire par fusion en 1974 avec la commune de Saint-Hilaire) de quelques centaines puis milliers d’âmes et dans le cimetière de laquelle on trouve plusieurs professeurs de Facultés (de pharmacie et de Droit) dont Achille Mestre (1874-1960) mais aussi des magistrats comme le Président parisien Pommeray (1902-1965), Ihler (1923-2012), celui de la Cour d’Alger Las Casas Duroussy (1874-1935) et, de la même famille, le conseiller à la Cour de Cassation Duroussy (1897-1982), plusieurs députés et avocats (dont Georges Batiot (1845-1929)).

On notera également le phénomène (qui n’est a priori pas propre aux juristes) de sépultures situées dans des communes autres que celles du décès (parce qu’il existe une sépulture de famille ailleurs par exemple ou que la mort est survenue de façon accidentelle dans un lieu où le défunt n’avait pas de racines). Dans notre panel, près d’un sixième des juristes ont été inhumés dans une nécropole autre que celle du lieu de leur décès. En ce sens, relevons les cas de Maître Moro-Giafferi (1878-1956), décédé au Mans et enterré à Paris, de Denis Serrigny (1800-1876) décédé au cœur du vignoble de Gevrey-Chambertin mais inhumé à Dijon ou encore du Président Laferrière (1841-1901) mort en cure à Bourbonne-les-Bains mais inhumé au Père Lachaise.

Périodes & genres des défunts juristes. Nous avons déjà exprimé supra la difficulté que nous avions rencontrée à former un panel de sépultures « paritaire ». En effet, avec un panel constitué à 76 % de juristes décédés entre 1800 et 1950, statistiquement et pour des raisons que chacun connaît historiquement il ne pouvait exister que peu de place aux femmes juristes ou à celles qui ont défendu le(s) Droit(s). Toutefois, nous avons tenu à intégrer au maximum – et tant que faire se le pourrait – cette dimension qui intègre par exemple et notamment les pionnières suivantes : Suzanne Basdevant (1906-1995) (inhumée à Anost), première agrégée de droit public et première femme à intégrer l’Académie des Sciences morales et politiques ; Germaine Poinso-Chapuis (1901-1981) (qui repose à Marseille Saint-Pierre), avocate et docteure en droit qui fut la première femme ministre de plein exercice ; l’une (sinon la) première avocate à avoir plaidé, Jeanne Chauvin (1862-1926) (qui est inhumée au cimetière de la ville haute de Provins) mais aussi des suffragettes come Louise Weiss (1893-1982) qui repose dans le petit village de Magny-les-Hameaux et l’avocate Hubertine Auclert (1848-1914) (au Père Lachaise) et des femmes de combats pour le(s) Droit(s) comme Maria Deraismes (1828-1894) (au cimetière de Montmartre) et Louise Michel (1830-1905) qui reposa d’abord au dépositoire de Marseille Saint-Pierre pour ensuite être inhumée au cimetière de Levallois-Perret[48]. En termes d’égalité, cette fois, et si l’on ne regarde que les sépultures proprement dites il n’y a pas de véritables différences entre les défunts juristes et les défuntes. Dans les deux cas, nous avons un traitement mémoriel similaire : le même type d’entretien(s) et – surtout – la même propension au respect du protocole et au monumentalisme. En ce sens, les tombes des défuntes ne sont pas moins « orgueilleuses » que celles de leurs confrères. Celle précitée de Maria Deraismes (1828-1894) est véritablement monumentale tout comme celle d’Hubertine Auclert (1848-1914) avec la sculpture de bronze qui orne son tombeau et célèbre le « suffrage des femmes ». Plus discret est celui de la grande Germaine Poinso-Chapuis (1901-1981) à laquelle on doit pourtant énormément.

Utilisation des titres (doyen, professeur, avocat, notaire, chevalier de la légion d’honneur, etc.). C’est peut-être ce qui nous a le plus frappé sinon étonné en constituant le présent thesaurus. Par-delà et même contre l’expression du principe même d’Égalité, il n’y a – d’un point de vue objectif et statistique – que peu de défunts qui tiennent (ou à propos desquels les familles tiennent) à ce que leurs titres de vivants soient gravés pour la quasi éternité et, en tout cas, au-delà de leur mort. A l’exception de quelques élus, de militaires et de médecins, très majoritairement (et statistiquement) ceux qui ne se contentent pas d’inscrire sur leur sépulture leurs prénom(s) et patronyme(s) ainsi qu’éventuellement leurs dates de naissance et de décès sont des juristes. Voici très nettement une spécificité propre à leurs tombeaux mais qui a un avantage certain – en pratique – lorsque l’on a recherché, comme nous, leurs traces. Matériellement, même lorsqu’elles ne sont pas ostentatoires (ce qu’elles sont parfois sinon souvent ainsi qu’on l’a relevé supra au § 12), les sépultures de juristes défunts indiquent aux vivants les qualités professionnelles revendiquées de celles et de ceux qui y reposent. L’un fera graver dans le marbre une copie de la médaille de sa Légion d’Honneur et de toutes ses décorations (à l’instar de Maître Marcepoil (1903-1964), du professeur Amazit (1925-2012) ou dans le Jura de Guy Tellenne (1909-1993), poète, normalien et haut fonctionnaire (inspecteur général) du ministère de la Culture[49]), l’autre (comme Aimé Pierre Eon à Rennes (1836-1898)) mentionnera son décanat alors qu’un Conseiller d’Etat comme Rogniat (1767-1840) fera indiquer la quasi-totalité de son curriculum vitae !

Le juriste défunt – sur ce point – ne fait manifestement pas dans l’humilité. Il a comme un besoin de continuer à impressionner les vivants des titres qu’il a conquis (parfois dans la douleur) au Barreau, dans l’Université, l’administration, la ou les magistratures, au Greffe et même comme étudiant en Droit ou à l’avocature avec cette sépulture marseillaise d’un certain Bonsignour (1918-1937) malheureusement décédé à moins de vingt ans et représenté en photo et en cap avec une toge. Parmi les sépultures d’étudiants en Droit citons également cet étonnant tombeau (au Montparnasse) consacré à un dénommé Alexandre Louis Callery (1842-1862), mort à 19 ans et demi « victime de son dévouement en patinant sur le lac du bois de Boulogne » un dimanche de janvier.

Concrètement, sur les 550 sépultures examinées, 81 % font ainsi mention des titres des défunts ; certains comme Maître Cardona, à Paris, allant même jusqu’à faire graver – de leur vivant – une épitaphe dithyrambique telle que « Défenseur de la Patrie » en plus des titres habituels (avocat, secrétaire de la Conférence, …) ! Bien plus humble est par exemple la sépulture du Président Loew (1828-1917) à Mulhouse. Nous pourrions alors dresser un parallèle entre ces juristes et la catégorie – par ailleurs très réglementée[50] – des « morts pour la France ». Dans les deux hypothèses, en effet, tout semble matérialisé afin que le promeneur vivant qui croise leurs sépultures puisse se dire, avec respect et reconnaissance, celui-ci ou celle-là a donné sa vie pour nous. Ils ont combattu pour la Patrie mais aussi pour la Justice, le(s) Droit(s) et donc in fine pour nous-mêmes. Cette impression est encore – par définition – plus évidente dans les monuments aux morts des deux dernières guerres mondiales (1914-1948 et 1939-1945) érigés dans plusieurs de nos Universités et par exemple dans les Facultés de Droit de Paris II (Assas), Poitiers et d’Aix-en-Provence. Les ouvrages ou livres d’Or qui égrainent les noms des juristes et étudiants en droit morts pour la France en sont également le vibrant témoignage[51]. Citons à cet égard les professeurs lillois Boulard (1877-1914), Depitre (1881-1914), montpelliérains Loubers (1884-1914) et Moride (0883-1915), aixois Granier (1883-1914) et Hayem (1879-1915), l’avocat au Conseil d’Etat, agrégé des Facultés Gastambide (1876-1914) et l’algérois Tournyol du Clos (1882-1914). Mentionnons enfin le cas de cet avocat dijonnais, André Maclet (1892-1914) dont la chapelle familiale contient un exceptionnel vitrail le représentant le drapeau français à la main.

Esthétique des cimetières. On laissera le soin aux spécialistes de traiter infra cette question[52] de façon générale et l’on se contentera de dresser ici quelques constats spéciaux relatifs aux seules sépultures des juristes défunts. D’une manière globale, on peut dresser la première classification suivante de ces sépultures :

  • les sépultures « monumentales » qui comprennent les chapelles et autres constructions assimilables à de petits biens immobiliers (comme de grands murs) consacrés à une famille et / ou, partant, au Dieu rédempteur ;
  • les « enfeus » qui sont des édifices, niches ou tombeaux hors-sols ou intégrés à un mur ; leur tradition est encore vivace dans le sud de la France ce qui n’est pas le cas au nord de la Loire où ils apparaissent comme monumentaux ;
  • les sépultures « statufiées » qui comportent non seulement les tombeaux sur lesquels reposent des statues de pierre ou de métal (souvent des bronzes) mais aussi des bustes (plus fréquents) à l’image du défunt honoré ;
  • les « cénotaphes » qui sont des monuments « vides » dédiés à la mémoire d’un défunt mais ne contenant pas ou plus la dépouille ou les restes d’un juriste défunt (souvent parce qu’il a été transféré dans une autre sépulture) ;
  • les sépultures « cultuelles », positionnées directement dans un lieu même de culte comme une Eglise ;
  • les sépultures « consacrées » et placées sous la protection d’une religion avec la mise en avant ostentatoire d’un symbole cultuel ou d’une citation religieuse ;
  • les tombeaux « à symbolique juridique » qui manifestent par une gravure, une épitaphe, une sculpture ou une photographie l’un des symboles du Droit ou du métier juridique du défunt ;
  • les tombes « végétalisées » qui, soit de manière volontaire parce qu’un arbre y a été planté soit du fait des « Lois » de la Nature et d’un manque d’entretien, sont recouvertes de verdure et / ou de mousses ;
  • les tombes « anonymes » qui, comme leur nom l’indique, sont ces sépultures dont il n’est plus possible au passant non aguerri de déterminer pour qui elles ont été érigées et qui elles abritent encore ; le temps et parfois une absence prolongée d’entretien les ont ainsi rendues comme « muettes » ;
  • les sépultures « disparues ou en voie de disparation », enfin, qui désignent ici les hypothèses de tombeaux désormais invisibles ou presque parce qu’une reprise de la concession a été opérée et que les restes des dépouilles, dans le meilleur des cas, ont été transférés en fosse commune.

Si l’on reprend nos 550 sépultures, on arrive alors au tableau suivant (où une tombe peut évidemment appartenir à plusieurs catégories de la classification) :

SépulturesPourcentages
Monumentales (dont chapelles)13 %
Enfeus01.5 %
Statufiées 14.5 %
Cénotaphes02.5 %
Cultuelles02.5 %
Consacrées89.5 %
A symbolique juridique 07 %
Végétalisées (dont mousse)27.5 %
Anonymes 09 %
Disparues ou en voie de …04 %

Plusieurs chiffres, croyons-nous, sont assez étonnants et méritent d’attirer l’attention. Il s’agit ainsi des chiffres de sépultures dites consacrées (89.5 %) qui témoignent de l’appartenance de très nombreux juristes à une des religions du Livre principalement. Notre panel comporte ainsi des tombes de plusieurs confessions avec la mise en avant de nombreux symboles religieux comme :

  • une croix latine (pour la très grande majorité des juristes défunts et par exemple sur la sépulture du plus célèbre des secrétaires généraux de la Chambre des députés, Eugène Pierre (1848-1925) au cimetière du Montparnasse ou sur la tombe du professeur Marcel Planiol (1853-1931) à Rennes ou encore du doyen Georges Vedel (1910-2002) ;
  • une croix orthodoxe comme pour la sépulture de maître Karabcevsky (1853-1925) au cimitero accatolico de Rome ;
  • une croix de malte comme sur la chapelle Baude au Montparnasse ;
  • une croix celtique comme sur le caveau familial de l’administrateur Liegeard (1821-1881) ou sur celui en enfeu des Merignhac au cimetière de Terre Cabade à Toulouse ;
  • une croix dite pattée comme sur le tombeau breton de Me Lenee (1823-1891) ou celui, poitevin, de la famille du doyen Georges Barilleau (1855-1925) ;
  • une croix dite d’Anjou ou de Lorraine comme sur la sépulture – au Panthéon – de Félix Eboue (1884-1944) en hommage à son combat de résistant ;
  • un chrisme[53] comme sur la sépulture du professeur parisien Henry Perreyve (1800-1869), celle à Beaune du professeur Saleilles (1855-1912) ou sur celle du doyen des Présidents de la Cour de Lyon, Vincent Reyre (1762-1847) ;
  • la mention de l’espoir d’une résurrection (« Spes Unica ») qui est le rappel – gravé sur une croix latine – du 1er verset de la 6e strophe du Vexilla Regis écrit[54] par le pictave Venance Fortunat (« O Crux ave, spes unica ») : « Salut, ô Croix, [notre] unique espérance » ; on la retrouve ainsi sur le caveau du conseiller Jamin (1850-1897) au Montparnasse ou, à Bordeaux, au cimetière de la Chartreuse, sur le monument du magistrat de Brezetz (1744-1823) ;
  • la mention expresse de la croyance et de la foi comme sur la sépulture des notaires parisiens Parmentier (1879-1915) & Pluche (1853-1917) arborant un ostentatoire « Credo » en lettres d’Or ou sur la tombe précitée de la famille Saleilles affirmant « Ego sum resurrectio et vita » comme on le lit dans les Ecritures (Jean, XI, 25). De même, avec ces épitaphes en hébreu sur une face de la sépulture puis en vernaculaire (ainsi pour Henriette Nathan (1829-1885) ou pour l’avocat Wolff (1851-1897) à Nancy) ou encore avec les juristes qui furent aussi ministres du culte à l’instar du recteur Bataille (1792-1868) à Bains-les-Bains ;
  • un extrait de psaume (par exemple ceux de David) écrit en hébreu ou en latin (comme le célèbre début du psaume 130 : « De profundis clamavi ad te Domine ») ainsi qu’on peut le lire sur la sépulture de l’avocat Jacquier (1788-1863) au cimetière ancien de la Tronche ou plus généralement la mention d’un « requiesca(n)t in pace » parfois abrégé sous la forme désormais célèbre de R.I.P. qui ne signifie pas, en France, « rest in peace » mais bien « qu’il repose en paix » en latin (ce que l’on lit par exemple sur la tombe marseillaise du magistrat Alfred Aubert (1856-1909) ou celle, à Vence, de son collègue Maret (1873-1966)) ; on lit également, comme sur l’un des enfeus toulousains de la famille Deloume les acronymes religieux P.P.E. et P.P.L. signifiant respectivement « priez pour eux / pour lui » ou à Talmont (sur la sépulture Las Casas Duroussy (1874-1935) : P.D.P.E. (pour : « priez Dieu pour eux ») ;
  • l’indication d’une année selon le calendrier hébraïque (comme 5645 pour 1885 selon le calendrier grégorien) sur la tombe nancéienne de l’administratrice Henriette Nathan (1829-1885), des petits cailloux laissés par les visiteurs de sépultures israélites comme celles de l’avocat Weil (1886-1962) et du Bâtonnier avignonnais Dreyfus (1923-2007) au cimetière du Montparnasse ou du – sulfureux – conseiller de Tribunal Administratif Guillaume Dustan (1965-2005) dont les titres sont : « Magistrat, écrivain, éditeur » ;
  • parfois, en Bretagne notamment, c’est directement et uniquement un calvaire qui est implanté sur la terre de la sépulture comme à Rennes au-dessus du corps des doyens de Caqueray (1816-1864) et Richelot (1792-1876). La croix peut alors être tellement monumentale qu’on en dirait une fusée directement pointée vers les cieux ce qui est le cas, à Poitiers, au cimetière de Chilvert, de la tombe consacrée à la famille du professeur Dubois (1866-1935) et ce, dans un style directement issu des années 1930.

Il arrive également que soient représentées des mains jointes (comme sur la sépulture lyonnaise de l’avocat Marietton (1860-1914) ce qui rappelle l’union – religieuse – entre deux époux. Au titre des religions, toujours, mentionnons les sépultures que nous avons qualifiées de « cultuelles » (moins nombreuses) et qui correspondent aux quelques cas (tous antérieurs à la Loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905) où des juristes ont été enterrés dans une Eglise, une de ses chapelles ou de ses cryptes. Mentionnons en ce sens Bossuet (1627-1704) à Meaux, Baluze (1630-1718) et Montesquieu (1689-177) en l’Eglise parisienne de Saint-Sulpice, Saint-Yves (1250-1333), le « patron » des avocats à Tréguier ainsi que trois cas intéressants : celui du Chancelier d’Aguesseau (1668-1751) qui repose encore aujourd’hui face à l’Eglise d’Auteuil sous un obélisque qui a l’air d’être un cénotaphe ou un simple monument décoratif mais qui est bien une sépulture devant la sortie d’un métropolitain, vestige d’un ancien cimetière. Autre sépulture remarquable, celle consacrée au premier professeur de droit constitutionnel en France, Pellegrino Rossi (1787-1848), intégrée dans la Chapelle San Lorenzo in Damaso au cœur du Palazzo della Cancelleria (à Rome) où il fut assassiné. Enfin, relevons aussi les cas du professeur et sénateur Anselme Polycarpe Batbie (1828-1887) dont le corps repose à Seissan, sa ville natale, mais dont le cœur a été scellé (dans un tube) dans l’un des murs de la crypte de la basilique du sacré-cœur de Montmartre ainsi que celui du père du droit public catholique, Monseigneur Affre (1793-1848) dont la dépouille repose dans la chapelle Saint-Denis de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Symboles de Justice. S’agissant de la symbolique juridique, on avouera avoir été assez surpris de ne pas en relever davantage dans notre thesaurus. Avec seulement 07 % d’occurrences, on constatera que si les juristes défunts (et leurs familles) tiennent à indiquer et à graver les titres des disparus (cf. supra § 15), il n’en est pas de même s’agissant de la symbolique juridique principalement présente dans le sud de la France (notamment dans le cimetière Saint-Pierre d’Aix-en-Provence où ils sont nombreux). Parmi ces symboles utilisés, on mentionnera :

  • la balance de Justice comme pour le juge de paix Durand (1809-1856) ;
  • le glaive de l’imperium comme sur la sépulture de François Xavier Testanière de Miravail (1772-1847) à Aix-en-Provence ;
  • le mortier du magistrat présent sur le caveau (également aixois) de l’avocat général Joseph Isidore Moutte (1791-1868) ;
  • les mots « Loi » ou « Justice » à l’instar de ce coussin de pierre (comme cela se pratiquait beaucoup autrefois pour matérialiser et prolonger le « lit » de mort du repos éternel) posé sur la tombe du premier président de la Cour de Paris, Jean-Alphonse Gilardin (1805-1875) au cimetière lyonnais de Loyasse et reprenant un mortier, les décorations du défunt ainsi qu’un ouvrage sur lequel le mot « Loi » semble triompher ; on retrouve parfois (comme sur la sépulture nantaise en enfeu de l’avoué Sibille (1810-1886) l’inscription des domaines de prédilection du défunt (en l’occurrence le « droit maritime ») ;
  • la fonction du défunt gravée de façon plus importante encore que son patronyme ainsi que cela peut se voir sur la tombe du « Premier Président » Rigaud (1814-1890) située face à celle, beaucoup plus modeste, de Paul Cezanne ;
  • la photographie ou image de « l’homme de Loi » en costume comme pour le cas déjà signalé, à Marseille, du jeune Bonsignour (1918-1937) ;
  • Une citation (souvent biblique) relative au Droit comme celle figurant sur la sépulture de Maître Borgel (1909-1989) en français et en hébreu : « Les âmes des justes sont dans la main de Dieu et le tourment de la mort ne les touchera pas » (Sagesse III, 01-03). Citons également (ce qui est rare) la mention d’un texte de Loi comme l’acte du 30 août 1883[55] gravé sur la tombe du magistrat nancéien Charlot (1830-1916) car c’est celui (dit d’épuration républicaine) qui a drastiquement réduit le nombre de magistrats en France en forçant de nombreux personnels à quitter leurs fonctions (ce qui fut le cas du défunt).

Parmi les plus topiques des tombes aux « armes juridiques », signalons la sépulture aixoise du magistrat Amédée Durand (1809-1856) avec son entrelacs d’olivier et de chêne, son mortier, son Livre de la Loi et sa balance de Justice. Mentionnons alors, outre les symboles de Justice ceux qui, floraux et / ou végétaux, évoquent aussi la gloire comme les palmes, les couronnes et les lauriers que l’on retrouve sur les sépultures de nombreux juristes mais aussi de militaires et d’élus (ainsi sur la colonne dédiée à l’ancien Bâtonnier parisien Billecocq (1765-1829) où sont tressés des rameaux de chêne (symbole de vie éternelle) et de laurier (au nom d’une gloire éternelle) ou sur la sépulture familiale des Chabrol de Chameane où sont gravées pour l’éternité des couronnes mortuaires) ou encore l’étoile[56], lumière dans la nuit guidant les morts mais symbole également de l’Esprit et du travail intellectuel et telle que représentée par exemple sur la sépulture de famille du Président Laferrière (1841-1901) au Père Lachaise. Au titre de la glorification, on représente parfois (comme sur la sépulture familiale Morisset / Mestre à Talmont) des flambeaux que l’on place souvent à l’envers pour signifier la fin de vie et de flamme (ainsi sur la tombe bordelaise du président Roullet (1769-1847), parisienne de l’avocat puis député (mort en duel[57]) Dulong (1792-1834) ou sur celle, dijonnaise, de l’administrateur colonial Gardey (1873-1903)). On trouve aussi sur quelques sépultures (rares cependant) des évocations de l’Université et particulièrement des Facultés de Droit. Trois tombes nous semblent remarquables en ce sens : celle du romaniste Ortolan[58] (1802-1873) qui, au cimetière du Montparnasse, en l’état est composée d’un obélisque monumental sur lequel est implanté un bas-relief de Schoenewerk représentant une femme (la France, la Patrie, la Science ou encore la Justice, etc.) reconnaissante et gravant le nom du défunt dont le buste (aujourd’hui disparu) surmontait l’ensemble. De surcroît, sur la pierre tombale, on peut apercevoir le témoignage des élèves et des disciples du maître endeuillés. Dans un autre style, avec un enfeu caractéristique des régions du sud de la France, signalons la sépulture du professeur Boissonnade (1825-1910) qui ne matérialise pas la reconnaissance de l’académisme français mais uniquement, entre plusieurs palmes de gloire et un bas-relief impressionnant, le témoignage d’affection et de respect des anciens étudiants, collègues et administrateurs japonais de l’Université Hosei dont le juriste (qui fut conseiller du Ministère de la Justice au Japon) fut le sous-directeur et qui abrite, encore de nos jours, une tour érigée en sa mémoire. Enfin, signalons toujours parmi les universitaires, la sépulture du doyen aixois Balzac (1760-1839) qui est la seule de notre panel (avec celle également aixoise de son collègue Bernard (1784-1842)) à avoir représenté – gravé dans la pierre – le symbole suprême de l’uniforme universitaire : un mortier flanqué de sa décoration de Chevalier de la Légion d’Honneur et entouré de palmes. Le tout étant surplombé d’une colonne (symbole de vie) mais brisée par un vase funéraire (figurant la Mort) ; l’ensemble étant entouré d’un voile censé représenter le confinement des pleurs.

Monumentalismes. Cela dit, évoquons maintenant les sépultures que nous avons qualifiées de « monumentales ». On se contentera d’y relever un nombre important (13 %) de chapelles (donc consacrées) ce qui est le cas des sépultures des familles des juristes Plougoulm et Dareste de la Chavanne (au Montparnasse), de Désiré Dalloz (1795-1869) (au Père Lachaise) ou encore, à Clemcy, de l’avocat aux Conseils Tenaille-Saligny (1830-1889). Signalons également, généralement le long du mur d’enceinte des cimetières, ces gigantesques plaques funéraires érigées à l’instar de tableaux et souvent entourées de colonnes et surmontées de frontons architecturaux très travaillés et égrainant en les nommant et décrivant les défunts – prestigieux ou non – d’une famille recomposée dans la Mort. Citons à cet égard les caveaux funéraires des familles du Bâtonnier grenoblois Farconnet (1807-1863) ou des Lucien-Brun au cimetière lyonnais ancien de Loyasse. Relevons aussi les obélisques dressés vers le ciel et consacrés aux familles précitées de René Levasseur de la Sarthe (1747-1834) (au Mans), de l’avocat de Seze (1748-1828) (à Paris) ou du professeur Carre de Malberg (1861-1935) en Alsace. De même, mentionnons les rochers et blocs de pierre (sculptés ou non) déposés sur les tombeaux d’élus républicains que des siècles séparent comme Auguste Dornès (1799-1848) au Montparnasse ou plus récemment Gaston Deferre (1910-1986) à Marseille – Saint-Pierre. Encore plus impressionnant sont surement les mausolées lyonnais confectionnés pour l’ancien président de l’Assemblée Nationale, Herriot (1872-1957) et parisien pour la famille Duvergier de Hauranne qui feraient presque paraître discret, alors qu’il est également de taille considérable, le caveau familial de la famille Esmein à Luzarches. On notera d’ailleurs à propos de ce dernier que si le professeur que nous connaissons tous aujourd’hui sous l’appellation d’Adhémar Esmein (1848-1913) y est bien enterré, il n’est fait aucune mention de ce pseudonyme et il est uniquement gravé ceux de « Jean, Paul, Hippolyte et Emmanuel ».

En outre, au titre des véritables monuments (outre ceux déjà cités et inhumés au cœur d’une Eglise), il faut évidemment mentionner le nom de ces juristes dont les restes ont été transférés au Panthéon de la République, à Paris, en haut de la rue Soufflot et sur la montagne Sainte-Geneviève. Mentionnons parmi une dizaine de patronymes ayant fait évoluer le Droit et / ou l’ayant pratiqué Rousseau (1712-1778), Portalis (1746-1807) et Tronchet (1723-1806) ou plus récemment René Cassin (1887-1976). Ce dernier bénéficie d’ailleurs d’une triple reconnaissance funéraire : au Panthéon, tout d’abord, aux côtés de Jean Monnet (1888-1979) mais également dans deux cénotaphes : à Paris, au cimetière du Montparnasse ainsi qu’à Béthines. Au titre du monumentalisme et des cénotaphes, signalons de même l’intéressant caveau grenoblois de la famille Capitant qui fait apparaître entre deux pins et des éléments naturels non seulement la mention du professeur parisien Henri Capitant (1865-1937) ici inhumé mais également celle de René Capitant (1901-1970) et même de Louis Trotabas (1898-1985) qui reposent respectivement à Paris (au Montparnasse) et à Vence. Même s’ils sont, par exemple à Toulouse, encore de tradition vivante, notons également au titre des monumentalismes les tombeaux hors-sols ou enfeus qui ne sont pas les plus nombreux en France (et qui caractérisent par exemple les sépultures de la famille Timbal à Toulouse et celle, en autel, réalisée au Montparnasse pour le président Henrion de Pansey (1742-1829)) ainsi que plusieurs tombes que nous avons qualifiées de « statufiées » car comportant soit une œuvre d’art complète soit un buste. En ce sens, citons notamment les gisants comme ceux de Saint-Yves (1250-1333) dans la Cathédrale Saint-Tugdual, de Monseigneur Affre (1793-1848) agonisant à la Cathédrale Notre-Dame de Paris ou de Godefroy Cavaignac (1800-1845) au cimetière de Montmartre et de l’ancien avocat qui fut Garde des Sceaux Adolphe Cremieux (1796-1880) au Montparnasse ; les statues dont celles du préfet de la Forge (1820-1892) au Père Lachaise, des familles Donadei (à Nice), Joly-Touzet (à Paris) (la dernière étant ornée d’un ange annonçant la résurrection et le Jugement dernier), Pernot du Breuil (à Nancy) ou encore Schoelcher avec sa belle tête de mort, celles (dont un Christ rédempteur et un buste du défunt) qui entourent la sépulture précitée de Pellegrino Rossi (1787-1848) à Rome. Notons également cette étonnante croix sculptée qu’un serpent enlace au cimetière de Ligny-en-Barrois, où repose près du professeur Huvelin (1873-1924), le sous-préfet Chambeau (1822-1861) puis les nombreux bustes des défunts juristes tels celui de l’avocat Petrot (1857-1897), celui du Bordelais Fonfrede (1788-1841) ou celui – magnifique – du diplomate (docteur en Droit) Carrie (1857-1910) tous deux à Paris) et quelquefois même quelques bas-reliefs comme pour le professeur Valette (1805-1878) (au Montparnasse). Parfois, certaines inscriptions sont « malheureuses » ou « malvenues » c’est-à-dire peu réfléchies. Ainsi en est-il de cette sépulture niçoise (au cimetière de Caucade) d’un certain César Bonifassi (1868-1941) qui a voulu matérialiser un cercueil de pierres sur lequel serait gravée la mention de sa concession à perpétuité mais qui signale seulement, faute de place ou d’argent, « con à perpétuité » ! S’agissant de « monuments » toujours, relevons l’existence de plusieurs caveaux (comme à Clamecy avec les quatre sépultures alignées des trois frères Dupin et de leur père ainsi que celle des préfets Alapetite (sic), à Dijon avec la famille des professeurs Gaudemet ou à Nancy avec celle des juristes historiens Guerrier de Dumast) qui font état de véritables « dynasties juridiques » de pères en fils. Ainsi que le développera également infra (Chap. 01, section 01, § 27 et s.) le docteur Charlier, on peut aisément mettre ici en avant la volonté de nombreux juristes (et de leurs familles) de ne pas succomber à la pire des morts selon eux : la « mort sociale » plus encore que la mort physique. Toutefois, à l’opposé de ces sépultures monumentales, il faut aussi mentionner celles – plutôt rares donc – des juristes qui n’ont tenu qu’à faire indiquer leurs noms et prénoms et éventuellement les dates de vies – sans mention de leurs titres ou ostentation. Il en est ainsi des humbles sépultures d’un Gaston Jeze (1869-1953) à Deauville, du « père » du droit des fonctions publiques modernes, Henri Nezard (1875-1953) à Nice, de l’internationaliste Paul Reuter (1911-1990) à Aix, du privatiste François Geny (1861-1959), du publiciste Boris Mirkine-Guetzevtich (1882-1955) à Paris ou plus proche de nous du constitutionnaliste Guy Carcassonne (1951-2013).

B. Les juristes dans leurs sépultures : délaissés ?
« J’irai cracher sur vos tombes ? »

Quand la Nature reprend ses droits. Celles et ceux qui ont eu à s’occuper de l’entretien d’une sépulture le savent, en fonction de la pierre utilisée, des conditions météorologiques et donc climatiques ainsi que du temps passé, il peut ne se passer que quelques mois pour que les mousses notamment envahissent le tombeau. Aussi, au titre des tombes que nous avons qualifiées de « végétalisées », faut-il distinguer celles qui le sont naturellement (parce qu’on y a planté un arbre par exemple ou réservé un morceau de terre à des cultures désirées) de celles qui, faute d’un entretien suivi, constant et parfois prolongé sur des décennies, traduisent une victoire de la Nature sur la pierre. En ce sens sont la plupart des tombeaux des cimetières dits dormants de Caen à l’instar de celui des quatre Nations dans lequel repose Exupère Caillemer (1837-1913) ou de celui de Saint-Nicolas où se trouve, entre une dizaine de chats (ainsi que de leurs croquettes ou litières) et des arbres en liberté(s), le professeur de Valroger (1807-1881). C’est également fréquemment dans ces cimetières moins entretenus (ou dans les vieilles divisions des autres plus contemporains), que l’on trouve encore beaucoup de sépultures entourées de grilles désormais rouillées (comme sur la tombe de Charles Constant Marie (1828-1883), magistrat caennais). Aujourd’hui, dans de nombreuses nécropoles ces grilles originelles qui déterminaient les contours du « périmètre sacré » de la Mort ont été ôtées mais il en reste encore de très nombreuses.

Au titre des végétalisations volontaires, signalons alors la belle sépulture parisienne du Bâtonnier Ferry (1820-1887) où le chêne gravé dans la pierre jouxte les réelles herbes grimpantes, celle du philhellène Pouqueville (1770-1838) au Montparnasse dans laquelle pousse un laurier que du lierre entoure, celle désormais recouverte de mousses entourant un arbre du doyen Boncenne (1774-1840) et du professeur Pervinquière (1797-1868), à Poitiers, celles – nombreuses – qui se situent dans l’exceptionnel cimetière des étrangers de Rome (cimitero accatolico) où reposent l’avocat Dana (1815-1882), Antonio Gramsci (1891-1937) ou l’européenne et juriste engagée Ursula Hirschmann (1913-1991). On trouvera également des arbres ou des arbustes plantés (comme des églantiers) auprès des doyens Taulier (1806-18961) à Grenoble et Hauriou (1856-1929) à Nonac ainsi qu’à Marseille faisant de l’ombre au caveau de Maître Pollak (1914-1978). A l’inverse, citons les cas de tombeaux que les mousses et la verdure sont en train de (re)conquérir allant parfois jusqu’à les masquer ; qu’il s’agisse par exemple, au Père Lachaise, des tombes de Léon Aucoc (1828-1910) ou de la famille de Jean-Marie Pardessus (1772-1853). Parfois, les mousses ne se développent que sur une des deux tombes jumelées (souvent des époux) ce qui fait que l’on peut lire le nom de Mesdames Toullier (à Rennes) et Bigot de Preameneu (à Paris) mais plus de leurs juristes de maris ! Relevons également (toujours au Père Lachaise), les deux sépultures désormais presque invisibles du professeur Pigeau (1750-1818) et de Léon Bequet (1842-1891) ou à l’Etoile de la tombe de l’ancien magistrat Delamarche (1841-1929) démis en 1880 de ses fonctions pour non républicanisme : ces trois tombes sont respectivement cachées par un conifère, un laurier et des buis qu’il suffirait de tailler. Au titre des anecdotes, notons aussi – avec un peu d’humour (noir) – le fait que les sépultures strasbourgeoises de la famille des Schutzenberger se trouvent littéralement entourées de bières : celles des cercueils limitrophes mais aussi de la brasserie Fischer limitrophe du cimetière Sainte-Helène !

Quand l’oubli se matérialise. L’oubli est le propre et / ou la conséquence même du temps passé. Même si des « regrets éternels » ou la notion de « perpétuité » ont été gravés sur une sépulture, inexorablement le temps accomplit son œuvre ce qui est parfois symbolisé par un sablier ailé que l’on retrouve par exemple sur la chapelle parisienne des familles Niviere / Simeon, à Epernay sur la tombe du magistrat Renard (1808-1888), des administrateurs Outhier (1783-1858) et Vuillemin (1793-1861) à Arbois ou encore sur le monument à Jean Brethe de la Gressaye (1895-1990).

Il faut alors encore distinguer plusieurs types de sépultures dont celles qui sont devenues anonymes parce que, faute d’entretien ou suite à des dégradations, la sépulture ne contient plus de plaques d’identification(s) ce qui est le cas, par exemple, au cimetière du Montparnasse des tombes des professeurs Oudot (1804-1864) et Vuatrin (1811-1893) mais aussi des doyens Pellat (1793-1861) et Glasson (1839-1907). Il en est de même à Dijon pour les doyens Proudhon[59] (1758-1838) et Serrigny (1800-1876) désormais anonymes ainsi que pour le doyen poitevin Foucart (1799-1860) au Père Lachaise ou encore pour Bouchene-Lefer (1796-1872) dans la petite commune d’Elancourt. Pour toutes ces sépultures il est devenu impossible d’identifier leurs occupants. Seul le numéro de concession (lorsqu’il existe encore) ou une localisation obtenue par les services municipaux permet d’attester des identités disparues. Bientôt, parce que les noms qui y sont gravés s’effacent, d’autres tombeaux rejoindront cette liste comme par exemple celui du professeur Charles Gougeon (de la Thebaudière) (1797-1882) à Rennes dont le caveau s’est tellement affaissé qu’il semble emprisonné dans un sable mouvant ; ceux de la famille Royer-Deloche à Grenoble où il faut pénétrer dans l’enceinte sacrée pour lire et déchiffrer les patronymes ou encore la sépulture parisienne et familiale des de Janze (au Montparnasse) qui, bien que située près du rond-point central de ce cimetière n’est plus entretenue ce qui laisse jours après jours les noms de ses locataires s’effacer (le phénomène étant similaire à Poitiers avec la sépulture familiale du notaire Bert (1790-1865)). C’est le lierre qui est également parfois responsable de la disparition de certains noms comme il en est, à Poitiers, de la sépulture commune aux familles des professeurs puis doyens Bourbeau (1811-1877) et Ducrocq (1829-1913) comme sur celle, lyonnaise, du magistrat Rougier dont la flore a désormais totalement recouvert le patronyme (devenu invisible) du professeur Jean-René Garraud (1849-1930). Mais il faut remarquer que peu de temps suffit pour qu’un nom s’efface lorsqu’il a été gravé puis peint. Ainsi, au cimetière de la pierre levée, à Poitiers, est-il déjà délicat de lire la présence du professeur René Savatier (1892-1984) alors que sa sépulture est plutôt monumentale. Il en est de même à Nancy pour le professeur François Geny (1861-1959).

D’autres dégradations ou leurs stigmates sont encore visibles lorsque des éléments d’un monument funéraire[60] se sont écroulés ainsi qu’il en fut sur la sépulture de l’avocat rennais Hippolyte Legraverend (1806-1870) dont la pierre et le médaillon se sont brisés ou encore du buste en toge de l’avocat Charles Le Senne (1848-1901) conservé, paraît-il, auprès de l’administration du cimetière du Père Lachaise après sa chute[61]. De même, signalons à Aix-en-Provence le fronton de la sépulture de la famille Rose sur lequel on pouvait lire les titres du doyen Carles (1807-1892) et qu’il faudrait pouvoir fixer à nouveau malgré ses bris. A Nancy relevons les vitres brisées de la sépulture et chapelle familiale des Ponton-Clesse où repose celui qui fut le directeur des Tabacs de Bordeaux à une époque où une certaine Agnès Blanco les « fréquenta ». A Epernay ou à Dijon, de même, plusieurs chapelles sont délabrées (vitres ou vitraux brisé(e)s et / ou monuments s’effondrant) ainsi qu’il en est de la sépulture du magistrat Edmond Porta (1841-1908) ou de l’avocat Charles Pommey (1861-1935). Dans de très nombreux cimetières de même certains caveaux s’écroulent comme ceux, à Nancy, de la famille de juristes Wolff-Levylier. Enfin, remarquons les hypothèses de plusieurs chapelles qui, faute d’entretien, deviennent dangereuses à l’instar d’immeubles menaçant ruines et dans lesquelles, parfois, comme à Bordeaux s’agissant de la famille du consul Barre (1807-1870), l’accès est strictement interdit (de même à Nancy, s’agissant de la sépulture du magistrat Thomas (1848-1911)) ; la zone étant dangereuse. Moins graves et souvent faciles à nettoyer (mais qui ne devraient pas exister pour autant) signalons les cas de plusieurs sépultures qui servent temporairement (ou à perpétuité ?) de dépotoirs plutôt que de dépositoires parce que les familles d’autres sépultures se permettent d’y laisser quelques fleurs fanées, pots brisés ou encore luminions éteints comme sur la sépulture parisienne du professeur juriste-économiste et membre de l’Institut Auguste Deschamps (1863-1935). Plus inquiétant est l’état de la sépulture familiale des Laferrière, au Père Lachaise, où gravats, sacs poubelles et restes de canettes de bières jonchent le sol écroulé de la petite chapelle.

Sans être vraiment qualifiable de dégradation signalons également l’hypothèse suivante de tombeaux situés à proximité de célébrités plus importantes que celles qu’ils abritent eux-mêmes aux yeux des contemporains. Ainsi, être un juriste défunt au cimetière du Père Lachaise dans la sixième division à proximité de la star du rock Jim Morrison n’est pas une sinécure. Si aujourd’hui (à la différence des années 2000), de très nombreux graffitis signalant la tombe du poète rockeur ont été soigneusement effacés, il demeure plusieurs dégradations et la tombe doit désormais être entourée de barrières d’exclusion formant un périmètre de sécurité qui n’est pas sans rappeler le périmètre sacré évoqué supra. En ce sens, les graffitis en moins, signalons le cas (toujours à Paris) de l’administrateur juriste Tarbe de Vauxclairs (1767-1842) à qui Frédéric Chopin et ses admirateurs font de l’ombre, celui de l’ancien administrateur colonial et député Levecque[62] (1852-1947) écrasé par le monument en hommage au champion du monde des échecs, Alexandre Alekhine ou celui du magistrat Chauvin (1820-1900), à Arbois, éclipsé par les panneaux menant à la tombe du Professeur Louis Pasteur ! Au cimetière du Père Lachaise, on peut même voir plusieurs sépultures de juristes défunts très dégradées par des passants peu respectueux. Ainsi, séparées de quelques mètres citons la tombe de l’administrateur Varin (1831-1857) sur laquelle des personnes se sont crues intelligentes de graffiter des questions faussement philosophiques et telles que « As-tu compris pourquoi la vie ? » ou ont simplement laissé une trace (avec une date) de leur passage et, plus loin, le malheureux mausolée de ce juriste, pourtant élu et représentant de la République (à l’Assemblée Nationale puis au Sénat et comme ministre), Louis Adolphe Cochery (1819-1900), qui sert désormais de lieu de rencontres pour ne pas dire de débauche(s). Tout ceci permet de comprendre pourquoi les cimetières sont des éléments du domaine public soumis à des horaires d’ouverture et de fermeture ainsi qu’à des règlements intérieurs afin de les protéger ainsi que les biens privés qui y sont implantés. C’est également pour cette raison que certains cimetières ont été obligés (notamment dans les grandes villes comme à Paris) d’installer des fils de fer barbelés au-dessus de leurs murs afin d’empêcher les citoyens malveillants ou en recherches de sueurs froides et de sensations fortes d’y pénétrer nuitamment. Face à ces délabrements naturels ou intentionnels, plusieurs familles, quelques anonymes (et parfois des autorités notamment municipales) ont entrepris et entreprennent fréquemment des travaux d’entretien et de réfection. Il en fut ainsi pour la très belle réhabilitation du monument Demante (1789-1856) au cimetière du Montparnasse, de celui élevé en hommage à Jacques Galos (1774-1830) à Bordeaux (face au cénotaphe Goya) ou même si elle est toujours anonyme pour celle précitée du doyen Foucart (1799-1860) et, également au Père Lachaise, celle de la famille Lefebvre de Laboulaye. Mentionnons aussi, au cimetière de Montmartre, la remise au jour de la sépulture monumentale d’Isambert (1792-1857) qui remet de la lumière sur un très beau bas-relief ainsi qu’un buste le faisant figurer en toge mais qui a omis – semble-t-il – d’indiquer ou de ré indiquer plus clairement le nom du défunt qui paraît presque anonyme alors que tous ses titres sont déroulés sur une dizaine de lignes ! Au titre de l’entretien et des réparations, signalons également la sépulture du doyen de la Faculté de Droit d’Aix-en-Provence Jean Baptiste Antoine Tranquille Bernard (1784-1842) dont l’accroche de la croix ornementale avait manifestement cédé et qui a été remplacée mais qui devait laisser encore passer un peu de « jeu », raison pour laquelle on a dû la rafistoler avec les moyens du bord (en l’occurrence un morceau issu d’un jouet de la marque playmobil © qui paraît ici comme incongru).

Un accès à la perpétuité ? On le sait, même les concessions dites cinquantenaires ou perpétuelles peuvent faire l’objet, en cas d’abandon d’entretien notamment[63] et théoriquement à partir de trente années entre l’octroi de la concession et le constat d’abandon et dix ans après la dernière inhumation en ce lieu, d’une procédure dite de reprise. Ceci peut impliquer, s’il n’y a pas de remise en bon état d’entretien, non seulement un transfert des droits réels et de la propriété[64] des biens mobiliers funéraires mais encore une exhumation suivie d’un transfert des restes qui, placés dans une boîte à ossements, sont ensuite intégrés soit à l’ossuaire communal soit sont parfois même incinérés. On constatera alors selon notre statistique que peu de juristes ont été concernés – lorsque l’on a réussi à déterminer avec certitude leur lieu d’inhumation – par cette procédure de reprise qui touche pourtant chaque année et dans presque tous les cimetières communaux des milliers voire des millions de personnes. Autrement dit, toujours avec ce prisme sociologique et financier, la plupart des juristes dont on a recherché les sépultures même si ces dernières avaient été implantées depuis plus de trente années sont toujours visibles et en place (ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles sont entretenues). Nombreux sont en ce sens les familles de juristes et juristes eux-mêmes qui ont préféré prendre un contrat sur la mort et l’éternité en acquérant des droits de concession dits à perpétuité. Les juristes à quelques exceptions près sont ainsi, nous l’avons déjà souligné, souvent sociologiquement issus de familles aisées (et s’y reproduisent fréquemment) : leurs morts traduisent cette sociologie et certains vont même (comme cette famille de juristes de Joigny dans les années 1950) jusqu’à se faire inhumer avec leurs « gens », des domestiques qui les suivent dans l’au-delà comme si la Mort n’avait rien changé. C’est toutefois cette volonté matérielle d’un accès à la perpétuité des juristes qui nous permet aujourd’hui encore de pouvoir nous recueillir, par exemple, auprès de la tombe de Léon Aucoc (1828-1910) puisque la concession perpétuelle l’abritant a été ouverte en 1871 au Père Lachaise. Il en est de même pour le romaniste Gustave de Caqueray (1816-1864) dont le calvaire qui surmonte la sépulture est encore très ostentatoire alors que le nom des occupants de cette dernière est quasiment effacé par les années. Globalement donc, les sépultures existent encore matériellement même s’il faut signaler quelques hypothèses inverses.

Des rares cas de « reprises » & de disparitions. Si la plupart des juristes défunts ont été protégés par une célébrité et / ou matériellement par une concession dite à perpétuité, d’aucuns en revanche ont désormais disparu ou vont le devenir. S’agissant des sépultures désormais inaccessibles, citons les cas du Conseiller d’Etat Joseph Boulatignier (1805-1895) dont le corps a reposé au petit cimetière de l’Etoile (Jura) mais dont les traces sont désormais peu visibles[65], celui du grand Cormenin (1788-1868), l’un des pères du contentieux administratif et notamment du Tribunal des Conflits, qui a été inhumé à Joigny mais dont la dépouille est désormais disparue[66] ou d’un des experts de la procédure civile, Guillaume Louis Julien Carre (1777-1832), dont les restes mortels ont dû être transférés dans la fosse commune du cimetière rennais du Nord ; fosse qui s’apprête à accueillir les ossements de son collègue le professeur Guillaume Legraverend (1765-1834) si rien n’est fait pour sauvegarder et entretenir sa sépulture. Cette dernière, en effet, a fait l’objet d’un constat d’abandon, tout comme celles de l’avocat parisien Edouard Grandmanche (1827-1884) au cimetière du Montparnasse et du notaire, ancien conseiller général de la Marne, Charles Gaillemain (1846-1916) au cimetière nancéen de Préville. Mentionnons en outre quelques rares hypothèses de disparitions de la traçabilité des corps comme pour les révolutionnaires (dont Danton (1759-1794) ou Olympe de Gouges (1748-1793)) d’abord inhumés dans des cimetières parisiens (comme celui dit des Errancis pour le premier et celui de la Madeleine pour la seconde) mais ensuite répartis dans les catacombes de la capitale et désormais conséquemment quasiment insusceptibles d’être retrouvés et identifiés. A cet égard, citons le cas du général, député et ancien président du Conseil des Cinq Cents, Jean-Charles Pichegru (1761-1804) au destin tragique (il fut traqué, déporté et peut-être assassiné) et à la dépouille mystérieuse. En effet, il fut (avant de « retourner » en Arbois où existe aujourd’hui une sépulture éponyme) inhumé à Paris au cimetière dit des suppliciés et ce, le même jour que son officiel suicide dans la prison du Temple. D’aucuns pensent même que ce n’est pas le corps du général juriste qui a été inhumé ce qu’une exhumation par le docteur Charlier pourrait peut-être confirmer[67]. Relevons également ce que l’on pourrait nommer des hypothèses de « réutilisations » de sépultures originelles de juristes par leurs familles qui ont continué à profiter des droits de concession ouverts à perpétuité par leurs ancêtres et qui ont utilisé, ce qui est bien compréhensible, le caveau familial quelquefois en supprimant une pierre tombale dégradée et en la remplaçant par une neuve sans prendre le soin de continuer à indiquer l’identité des premiers et lointains, parfois, « occupants ». Ainsi, au cimetière du Montparnasse en première ligne d’une importante division peut-on toujours se recueillir (à proximité du reste de la sépulture du célèbre avocat Georges Dayan (1915-1979)) devant le tombeau de Louis-Antoine Macarel (1790-1851) même si le nom de cet illustre administrativiste n’est plus du tout mentionné. De même, au Père Lachaise, à propos de la tombe de Claude-Etienne Delvincourt (1762-1831) désormais détrôné par la seule mention de l’un de ses petits enfants, Claude Etienne Edmond Delvincourt (1888-1954), compositeur et pianiste. Dans ces dernières hypothèses, généralement, on procède, pour gain de place, à des réductions de corps en mettant dans des boîtes à ossements les restes regroupés d’anciens cercueils et corps désormais réduits à l’état squelettique. Il en fut ainsi en 2010 au sein du caveau de la famille du professeur André de Laubadere (1910-1981).

Cinq sépultures à signaler. A la suite de nos pérégrinations en nécropoles, nous voudrions évoquer les sorts réservés à cinq sépultures. D’abord, mentionnons le cas de Philippe Antoine Merlin (de Douai) (1754-1838). Député du Nord, membre de l’Assemblée Nationale Constituante, il a également été avocat et fut l’auteur des célèbres Questions de Droit (15 éditions en six épais volumes). Inhumé au cimetière parisien du Montparnasse, sa sépulture, non entretenue, a risqué – de peu en 2011 – la reprise de concession. Désormais et après plusieurs démarches, la ville de Paris a accepté, au titre des monuments historiques, de prendre en charge l’entretien du tombeau qui ne figure donc plus au titre des reprises. En septembre 2014, toutefois, aucune réhabilitation n’avait encore été réalisée et sa sépulture est donc toujours anonyme (pour peu de temps normalement). C’est en partie ce qui est également arrivé à la sépulture du bordelais Barckhausen (1834-1914). Cette dernière, même si ces droits sont encore à régler, semble avoir échappé à la reprise de concession au cimetière protestant de Bordeaux.

Ensuite, relevons l’hypothèse des sépultures de deux des premiers professeurs de droit administratif, Louis (Pierre François) Cabantous (1802-1872) associé par suite à Jules Liegeois (1833-1908) qui continua ses Répétitions écrites. Le premier de ces publicistes a été inhumé à Noyers-sur-Serein en 1872, commune dans laquelle il décéda. En 2009, un constat d’abandon a été dressé et – en 2012 – un constat d’abandon définitif a été acté. Pourtant, en septembre 2014, la situation semble plus complexe. Soit, malgré l’arrêté municipal n°63/2012 du 21 août 2012, prescrivant sa ré inhumation dans l’ossuaire communal n’a toujours pas été effectuée, soit – si elle le fut – elle n’a pas donné lieu à la mention (gravée) du nom de Cabantous (sur un matériau durable qui plus est) au-dessus dudit ossuaire ; ce dernier (établi en 1903 avec la première grande Loi funéraire positive) étant dans un état de délabrement et d’absence d’entretien inquiétant ce qui justifie peut-être l’absence matérielle de reprise en attendant la construction d’un autre véritable ossuaire conforme à la dignité des morts. Quant à Jules Liégeois, né à Damvilliers puis décédé en 1908 à Bains-les-Bains où il fut renversé par une voiture, on aurait pu s’attendre à ce que ce juriste généraliste (administrativiste puis pénaliste et par suite connu, à l’École dite de Nancy, pour ses travaux novateurs sur l’hypnose et les suggestions criminelles) y fut enterré mais il n’en est rien. Il y a même le concernant un étrange paradoxe que matérialise la présente introduction. Spirituellement, la mémoire de Liégeois est vive : il est encore parfois cité, il est associé au prestige de l’École de Nancy et plusieurs bustes en son honneur ont été réalisés si bien qu’il est encore connu des vivants. A Damvilliers, ainsi, la place de la mairie se nomme « place Jules Liégeois » et y trône, triomphant, le buste toujours présent du susdit[68]. A Bains-les-Bains, son buste est également à l’honneur dans le parc thermal où il est en position visible. Pourtant, personne (dans aucune des deux mairies précitées notamment) ne semblait savoir où avait été enterrée la dépouille mortelle de ce « héros local » qui, concrètement, avait été inhumé à Nancy[69] non loin des professeurs Gény (1861-1959) et Senn (1879-1968). Conséquemment, s’est bien opérée une distanciation entre les deux mémoires ici analysées : celle de l’esprit et celle du corps mort. Il en est de même s’agissant du fondateur (et premier président) de la Ligue française des Droits de l’Homme, Ludovic Trarieux (1840-1904) qu’une monumentale statue glorifie à Paris (place Denfert-Rochereau) alors que son caveau, au cimetière protestant de Bordeaux, est presque tombé dans l’oubli.

Enfin, il nous faut raconter l’histoire de la sépulture par laquelle et / ou à cause de laquelle ce traité et la présente introduction ont été provoqués. Maurice Hauriou[70] (1856-1929) est mort à Toulouse, à son domicile (au 08, rue de la Dalbade), le 12 mars 1929 (à une heure[71]) mais sa dépouille ne repose pourtant pas dans la ville rose contrairement à ce que l’imaginaire collectif a longtemps véhiculé. Aujourd’hui encore (mais peut-être plus demain, espérons-le), lorsque l’on interroge les collègues et praticiens du droit public qui se réclament comme étant les disciples d’Hauriou à qui ils doivent tout (ou presque), il est traditionnellement répondu que son corps repose – évidemment – dans l’un des cimetières de Toulouse. Pourtant, après avoir minutieusement déambulé à travers les onze cimetières de la capitale languedocienne et après avoir interrogé l’ensemble des registres afférents, un constat s’est imposé : ni les services de l’Etat civil ni ceux des cimetières ni même des archives municipales n’avaient la trace d’une inhumation du doyen Hauriou à Toulouse : et pour cause. Il n’y fut pas enterré contrairement à cet autre « mythe » qui entoure sa dépouille. Ceci est d’ailleurs tristement révélateur d’un phénomène mémoriel – ou plutôt amémoriel avec un a privatif – qui nous a poussé, en novembre 2012 – en pleines fêtes des morts et de la Toussaint – à lancer un appel, aux côtés du Collectif L’Unité du Droit et ce, afin d’entretenir les sépultures des maîtres de notre Panthéon du droit public. L’appel (relayé sur le site Internet de l’Association[72]) a été publié dans l’Actualité Juridique Droit Administratif[73]et nous a permis d’établir le constat suivant : les juristes publicistes savent appréhender les cimetières en termes – juridiques et techniques – en notions et concepts tels que : service public ; domaine public ; service extérieur des pompes funèbres ; carrés dits confessionnels ; concessions dites à perpétuité ; reprise(s) de concession ; ordre public et notamment salubrité publique ; police des cimetières ; urnes ; vacations funéraires (sic), etc. Né le 17 août 1856 à Ladivile (en Charente), on aurait pu croire que le corps de Maurice Hauriou y fut retourné aux côtés des siens. Il n’en fut cependant pas ainsi. Si son cercueil a bien été transféré en terre charentaise ce n’est pas à Ladiville mais à Nonac, commune de près de 300 habitants située à une dizaine de kilomètres de la première[74]. En effet, c’est à Nonac, où la famille Hauriou possédait une propriété et où le doyen se rendait annuellement en villégiature que fut d’abord enterrée la fille de Maurice Hauriou puis le doyen lui-même. C’est pour elle qu’il fit ouvrir un caveau dans le village charentais de Nonac ce que confirme l’actuelle municipalité après consultation des registres[75]. Aujourd’hui toutefois, la sépulture familiale des Hauriou et ce, depuis de très nombreuses années, est à l’abandon. Lorsque nous l’avons « retrouvée » à la fin de l’été 2012 dans le cimetière de Nonac, nous avons été surpris de l’absence de plaque commémorative et même de l’absence de patronyme sur cette dernière. Une croix métallique, un jeune églantier y puisant et quelques vestiges y étaient présents mais rien ne permettait d’identifier cette sépulture d’une autre tombe. Pas même identifiable, le caveau encourrait même le risque d’une reprise municipale de concession. Désormais en effet, la famille n’habite plus Nonac et peu à peu son souvenir s’est même effacé. Il ne s’agit cependant et évidemment pas de blâmer quiconque en la matière. Il nous faut seulement constater l’abandon. La nature humaine est ainsi faite qu’elle oublie rapidement ce qu’elle craint de regarder en face. Le plus important, en outre, diront d’aucuns est peut-être l’hommage que quotidiennement les juristes, sur l’ensemble du globe et principalement autour des rives de la Méditerranée, rendent à la mémoire et à l’œuvre du doyen Hauriou. Ce dernier vit encore au firmament du droit public et le fait manifestement encore briller. Nous pensons et affirmons, quant à nous, que cette mémoire peut (et doit) aussi se matérialiser symboliquement et périodiquement par un entretien des dernières demeures de nos « maîtres ». C’est la raison pour laquelle l’appel précité « Aux morts … ô mores ! » a été lancé et c’est grâce à lui que nous pouvons annoncer que les restes du corps du doyen Hauriou ne rejoindront pas le caveau municipal de Nonac mais resteront dans son actuelle sépulture au-dessus de laquelle, bientôt, une plaque commémorative devrait être apposée et un entretien organisé[76].

Cacher cette Mort que je ne saurais voir. Un mauvais entretien sépulcral qui n’est pas propre aux familles de juristes. Le constat qui s’impose ensuite est simple et sans appel : depuis plusieurs années désormais, notre génération – en France au moins – du troisième millénaire ne se soucie que très peu ou plus, à quelques exceptions près, de l’entretien des sépultures des nécropoles.

Les seuls monuments, de facto, qui sont et seront entretenus sont soit ceux qui sont récents (avec une inhumation de moins de cinq années qui y serait relative) et ceux qui sont, de jure, entretenus par une institution à l’instar des tombes des soldats « morts pour la France ». Certains juristes relèvent du reste de cette dernière catégorie (comme l’avocat Jean Saleilles (1890-1915) et ceux que nous avons cités infra au § 15) et d’autres, comme Raymond-Théodore Troplong (1795-1869), à Plombières-les-Bains, voient leurs sépultures toujours entretenues par une institution de la République (en l’occurrence le Sénat dont il fut le Président alors même qu’il était à la tête de la Cour de Cassation).

La Mort, autrefois partie intégrante de nos vies, visible et revendiquée par ses catafalques, ses habits de deuil et ses tentures funéraires sur les domiciles et les lieux de culte, par ses convois sur la voie publique où le cercueil était perceptible, par ses veillées au domicile du défunt, par l’entretien des sépultures, la Mort –donc – était tangible et assumée. Désormais, elle est « expulsée du domicile » comme l’a relevé Edgar Morin[77] qui rappelle la statistique selon laquelle il y a seulement cinquante ans, « 80 % des décès survenaient à domicile » alors que ce chiffre, en 2014, est non seulement totalement inversé mais dépassé : près de 90% des décès se matérialisant en milieu hospitalier. Et si – aujourd’hui – la Mort a très majoritairement quitté le domicile des citoyens, le phénomène s’est amplifié avec une volonté de la dissimuler tellement qu’on croirait que d’aucuns veulent en nier l’inexorabilité. Dans l’espace public, de nos jours, tout est ainsi fait pour que la Mort soit invisible. A l’hôpital, dès le décès survenu, la toilette est immédiatement assurée afin que le défunt soit présenté sous son meilleur jour : la Mort est fardée.

Ensuite, le cadavre – qui, à nos yeux, contrairement à la qualification doctrinale majoritaire, est une personne[78] et certainement pas une chose – va reposer dans un lieu confiné et approprié (les chambres mortuaires puis funéraires) : la Mort est géographiquement contrôlée et, par des soins de plus en plus nombreux de conservation et d’embaumement, on présente aujourd’hui les défunts comme s’ils étaient en vie (sic) : endormis. Comme si la Mort n’avait pas frappé et qu’il était possible de la nier. Révélateur est en ce sens le nom choisi, à Menton, par les premières chambres funéraires françaises (1962) : Athanée ce qui signifie littéralement et du point de vue étymologique : le lieu de la « non-mort ».

En outre, sur le domaine public, les corbillards[79] ne peuvent plus laisser entrevoir[80] un morceau de cercueil : leurs vitres sont teintées ou la bière est dissimulée : la Mort est occultée tout comme le cimetière est entouré de murs et d’arbres dissimulant l’indicible. Certes, sur des petites distances, le cercueil doit pouvoir être visible mais – généralement – les entrepreneurs de pompes funèbres décident de normaliser leurs véhicules pour toutes les distances et ce sont ceux réservés aux moyennes et longues distances qui priment en occultant les cercueils. La Mort ne revient plus, enfin, au domicile où l’on ne la veille presque plus. Bientôt peut-être même qu’il sera (c’est en tout cas le souhait matérialisé par l’Inspection Générale des Affaires Sociales (Igas)[81]) comme impossible de faire « revenir » les corps morts aux lieux de résidences des défunts puisque « parce que le domicile ne répond plus à l’évolution des soins funéraires, qui sont des activités à risque », l’Igas recommande désormais « que la pratique de la thanatopraxie[82] soit réservée aux seuls lieux dédiés que sont les chambres mortuaires et les chambres funéraires ». A domicile donc, il pourrait bientôt ne plus avoir de soins de conservation ce qui en ferait encore chuter l’usage. La Mort n’en finit donc pas (et le mouvement s’accélère) d’être chassée du domaine public et cela explique, selon nous, ce désintérêt évident des contemporains pour l’entretien des sépultures. Celui-ci est désormais confiné aux seuls soins familiaux ce qui explique – croyons-nous – les hypothèses d’abandon relevées ci-avant. Nous croyons, quant à nous, qu’il faudrait au contraire réinvestir la place de la Mort dans notre société et ne plus la nier mais au contraire réapprendre à vivre à ses côtés : en investissant les cimetières, en s’occupant, en famille, des sépultures de nos proches et, collectivement, des grands hommes et femmes de la Nation. Pour reprendre la belle formule des promoteurs de la « mémoire nécropolitaine[83] » associés au présent Traité, il s’agit bien de « donner un futur à notre passé ». N’en va-t-il pas de l’honneur même de la République que de s’occuper de ceux qui l’ont construite ?

La non coïncidence des deux mémoires & autres paradoxes. Au terme de cette étude, il s’avère manifeste que ne coïncident plus les mémoires spirituelle et physique ou sépulcrale des juristes défunts (ce qui vaut d’ailleurs peut être également pour d’autres catégories sociales). Autant les doctrines, les idées et le souvenir des juristes demeurent ce qui permet aux pensées originales de continuer leurs chemins tout en étant transformées[84] et continuées par les contemporains, autant les corps des défunts sont laissés sinon abandonnés à la sphère de l’intimité familiale comme si nous ne voulions ou ne pouvions plus regarder ce que la Mort a accompli sur nos concitoyens (et comme si nous ne voulions pas affronter ce qui nous arrivera ou arrivera à nos proches). On comprend évidemment que la famille et les proches aient cette mission d’entretien de la mémoire physique mais ils ne sont pas les seuls pour autant. Il nous semble effectivement très paradoxal qu’une institution puisse s’enorgueillir d’avoir compté dans ses rangs un illustre juriste dont on va magnifier et encenser la mémoire spirituelle et – dans le même temps – ne pas se soucier un instant de sa mémoire physique. Si la famille du défunt est prioritaire (ne serait-ce que parce que la sépulture est sienne), l’institution doit prendre le relais et – à nos yeux – assurer quelques moyens à l’entretien (quotidiennement peu onéreux) de quelques-unes de ses tombes et en tout cas, a minima, se préoccuper de leur état.

Car détourner notre regard de cette mémoire physique que l’on abandonne aux familles des autres n’empêchera pas l’inexorabilité de la venue de celle que l’on nomme encore l’Ankou en Bretagne[85]. Un paradoxe nous a alors frappé dans notre recherche : en droit public, ainsi, des hommes comme Hauriou (1856-1929) et Laferrière (1841-1901) sont les plus cités des auteurs ; leur mémoire spirituelle est intacte et même encensée. Pourtant, leurs sépultures sont celles qui sont des plus dégradées : anonymes et délaissées. Tristes de ce constat, nous avons avec une trentaine de collègues et de praticiens (magistrats notamment) déjà lancé un appel précité en faveur de la matérialisation du souvenir juridique. Concrètement, il s’agit, avec l’accord des familles concernées et dans le respect de celles-ci, de se mobiliser afin d’empêcher les reprises éventuelles de concessions des pères et mères du Droit et que ceux-ci soient ainsi anonymement dispersés dans les ossuaires publics. Ces derniers, selon les communes, étant parfois eux-mêmes dans un état de délabrement inquiétant. Certains comme au cimetière du Nord de Rennes sont parfaitement organisés et surveillés avec un accès non autorisé et cadenassé mais d’autres sont laissés dans une forme d’abandon et y sont visibles des passants les corps parfois comme jetés en pâture de nos concitoyens et de nos frères. Il s’agit conséquemment également d’organiser un entretien, un fleurissement ainsi qu’un dépôt de plaques (lorsqu’elles sont désormais absentes) afin de rendre à nouveau hommage et ce, toujours, avec l’accord et le partenariat des familles concernées. Pour ce faire, la mobilisation a commencé et les « actions en gratitudes » vont d’abord se matérialiser par et pour Hauriou[86]. Chacun(e) y est le / la bienvenu(e).

Commémoration(s), Remerciements & Épitaphe. Il est impossible de clore le présent avant-propos de la première édition 2014 du Traité des nouveaux droit(s) de la mort sans évoquer trois brefs éléments : d’abord, nous tenons à remercier tous les contributeurs des deux volumes de cet opus : juristes, privatistes, historiens, publicistes, médecins généralistes ou spécialisés, sociologues, musicologues, artistes et tous ceux, d’une manière générale, qui nous ont fait confiance dans cette « aventure » hors du commun et des sentiers battus à commencer par M. le président Jean-Pierre Sueur. Merci évidemment également à nos deux sœur et frère éditoriaux (Magali Bouteille-Brigant et Jean-François Boudet) sans qui rien n’eut été possible.

Ensuite, il faut souligner dès maintenant que les porteurs du Traité des nouveaux droits de la mort ont bien conscience – tout en innovant et en réunissant à la fin de l’année 2014 de multiples vues, points de vues et propositions – que cette édition n’est pas une « fin » en soi mais bien un commencement de recherches. Celles-ci se continueront nécessairement et se transformeront afin de donner lieu, au moins, à une seconde édition. En outre, puisque cet avant-propos analyse les liens entre Droit(s), Mort(s) et Mémoire(s) et que nous sommes en 2014, il nous faut insister sur l’année mémorielle du centenaire de la première guerre mondiale (1914-2014) que nous terminons. La sortie du Traité autour du 11 novembre 2014 interroge en effet également la question du rapport que notre société entretien avec ses morts[87] (juristes ou non).

Elle coïncide également avec l’arrivée automnale des vins primeurs ce qui n’est pas si capillotracté que cela pourrait sembler l’être à première vue. En effet, vins et mort(s) eurent longtemps un point commun : celui d’être annoncés par la seule et même corporation des « jurés-crieurs de corps (sic) et de vins ». Ces derniers étaient effectivement rétribués à communiquer dans les villes et villages l’arrivée des vins mais aussi le départ des vivants.

Enfin, la préparation de cet article nous a naturellement conduits à réfléchir à ce que nous accomplissions pour les sépultures familiales de nos défunts et à ce que nous voudrions pour notre propre tombe. Si cela était possible, nous aimerions reposer non loin d’arbres comme ces ifs millénaires[88] (taxus baccata ; taxaceae) que l’on peut encore admirer près de l’église qui fut l’ancien cimetière de la Lande-Patry (Orne) et, en guise de conclusion nous suggérons[89] :

(02 novembre 1976, jour de la fête des morts / …
…. 20…, dernier jour de la fête de sa vie)
Co-auteur du Traité des nouveaux droits de la Mort
qu’il continue d’étudier de plus prêt !

Attention ! La mise en ligne et en accès libre des présents propos n’entraîne pas l’abandon de ses droits d’auteurs. Le projet VDM, en accord avec les auteurs concernés, a ainsi choisi de permettre la diffusion de plusieurs doctrines afin qu’elles puissent être diffusées et discutées le plus largement possible. Pour autant, toute reprise de tout ou partie de ce document implique un respectueux droit de citation pour le travail des auteurs concernés.

En l’occurrence, on pourra citer le présent document comme suit :

Touzeil-Divina Mathieu, « Droit(s), Mort(s) & Mémoire(s) : Quel(s) droit(s) pour les juristes d’Outre-tombe » in Projet Vie-Droit-Mort ; en ligne sur le site droitsdelamort.com ; 2014 ; art. 02.


[1] Cette communication n’aurait pas pu être réalisée sans l’aide précieuse, continue et efficace de quatre doctorants que nous tenons à remercier très chaleureusement pour leurs efforts dans les enquêtes réalisées ainsi que dans la recherche des sépultures de juristes. Merci en ce sens à M. Clemmy Friedrich ainsi qu’à Mme Mélina Elshoud, à M. Maxime Meyer et à Mme Charikleia Vlachou. Un autre merci à Elise Mouriesse.

[2] A ce jour, le réseau social américain Facebook est d’ailleurs considéré comme le plus grand cimetière virtuel existant ce qui pose de nombreux problèmes juridiques notamment pour fermer les comptes d’abonnés décédés dont on ignore les codes d’entrée. A cet égard, voyez infra la contribution (au Tome II, Chapitre V, section 03) de Mme Béguin-Faynel (à propos de l’héritage dit numérique) : § 542 et s.

[3] Le 10 décembre 2013, pendant la cérémonie d’hommage, comme de « grands » enfants cette fois, ce sont le président des Etats-Unis d’Amérique, Barack Obama et les premiers ministres britannique et danois, David Cameron et Helle Thorning-Schmidt qui se sont ainsi « immortalisés ».

[4] http://selfiesatfunerals.tumblr.com/.

[5] On reviendra in fine de cet avant-propos sur cette question ainsi qu’au chapitre II, section 01, infra.

[6] Il faut lire sur cette question la très belle étude de : David Franck, Comprendre le monument aux morts ; lieu du souvenir, lieu de mémoire, lieu d’histoire ; Paris, Editions codex du ministère de la défense ; 2013.

[7] Pour des raisons essentiellement pratiques (d’accès aux sources) et scientifiques (de connaissances personnelles de l’auteur). Quelques exceptions seront tout de même acceptées.

[8] On se permettra sur cette question de renvoyer à : Touzeil-Divina Mathieu & Bonnet Baptiste : « Unité(s) du Droit » in Initiation au Droit ; introduction encyclopédique aux études et métiers juridiques ; Paris, Lgdj ; 2014, 2nde éd. p. 311 et s.

[9] In Dictionnaire historique des juristes français (XIIe-XXe siècles) ; Paris, Puf ; 2007 ; p. IX.

[10] Et non simplement des normes et de la jurisprudence comme le retiennent au sens strict les auteurs précités.

[11] L’échantillon comprend concrètement les médias suivants (par ordre alphabétique) : Ajda ; D. ; Dr. adm. ; Gaz. Pal. ; Jcp A ; Jcp G. ; Lpa ; Rdp ; Rdt ; Rev. adm. ; Rfda ; Rfdc ; Rhfdc ; Rhfde ; Rrj ; Rtd. civ.

[12] A propos duquel nous sommes bien conscients qu’il ne reflète qu’un moment particulier (avril 2014) et un échantillon non exhaustif de l’ensemble des médias juridiques.

[13] A l’instar du lieu dans lequel repose Louis Rolland. Cf. infra.

[14] A l’égard de cette dernière on renverra aux travaux de Fontaine Laureline, Qu’est-ce qu’un grand juriste ? ; Paris, Lextenso ; 2012.

[15] Force est toutefois de constater que jusqu’à la période contemporaine, il y eut très peu de femmes juristes dont nous avons pu retrouver les coordonnées géographiques des sépultures. Notre panel, de facto, est donc essentiellement composé d’hommes du Droit ce qui n’est pas une démarche volontaire de notre part mais une soumission de la recherche au poids des faits, des habitudes et des années. On retrouve du reste le même constat par exemple dans le dictionnaire précité des juristes français ou dans l’ouvrage précité de Mme Fontaine.

[16] Dictionnaire précité des juristes français (…) ; ibid.

[17] Collection personnelle de l’auteur.

[18] A titre personnel, nous militons du reste pour que l’amphithéâtre dit Mercure du bâtiment éponyme de l’UFR Droit de l’Université du Maine soit rebaptisé du nom de Louis Rolland (1877-1956) né en Sarthe.

[19] On pense notamment à ses écrits relatifs aux Tsignanes mis en lumière par le professeur Emmanuel Aubin.

[20] A son égard, on se permettra de renvoyer à : Touzeil-Divina Mathieu, « Maurice Hauriou, mystificateur ou héros mythifié ? » in Miscellanées Maurice Hauriou ; Le Mans, L’Epitoge ; 2014 ; spéc. p. 112 et s.

[21] Mentionnons aussi (cf. infra § 15) l’hypothèse des monuments aux morts érigés dans les Universités.

[22] Respectivement et, par exemple, dans les numéros disponibles en avril 2014 de la Rfda (Carre de Malberg), du Jcp G, des Lpa et de la Rtd. civ. (Cornu) ou encore du Jcp A et de l’Ajda (Drago).

[23] « Maurice Hauriou, mystificateur ou Héros mythifié ? » ; op. cit. ; p. 83 et s.

[24] Compte rendu de la réunion du premier concours 2014 sur : enseignementsup-recherche.gouv.fr.

[25] Mais on sait qu’il en est différemment dans plusieurs îles d’Outre-Mer où la cohabitation avec les défunts est beaucoup moins macabre, retenue ou normée qu’en métropole. De même dans d’autres pays limitrophes comme en Slovénie, le cimetière est au sens premier un « lieu de vie » au cœur duquel les citoyens viennent plus volontiers partager et communier avec leurs défunts qu’en France. Il n’est ainsi pas rare lors des nuits estivales que les slovènes déposent sur les sépultures de leurs proches des bougies qui illuminent les cimetières et donnent à chacun l’occasion de célébrer, dans la joie, les disparus.

[26] Par exemple sur les deux très beaux et complets sites www.landrucimetieres.fr et www.appl-lachaise.net.

[27] Ainsi avec le cimetière Montparnasse : paris.fr/viewmultimediadocument?multimediadocument-id=30541.

[28] Dont la liste in extenso figure en ligne ici : www.droitsdelamorts.com/liste-sepulcrale/.

[29] Etant entendu que nous n’avons quasiment pas été confronté (à l’exception du cas de notre regretté ami et collègue montpelliérain, Stéphane Darmaisin (1968-2013)) à des hypothèses de crémations.

[30] On rappellera en effet que même si la sépulture se trouve placée sur le domaine public du cimetière et, par exemple, pour le Père Lachaise, dans l’hypothèse d’un monument historique et public, les caveaux et constructions funéraires ont été effectuées par et pour des personnes privées (qui en ont a priori le droit à l’image et à l’exploitation). L’utilisation scientifique (et non commerciale) de tels clichés ne pose pas de grande difficulté mais dans le cadre d’une publication, et pour éviter toute gêne éventuelle des familles concernées, nous avons préféré ne sélectionner ici que des extraits photographiques dans lesquels il n’est pas possible d’identifier nommément les défunts.

[31] Notamment sur le site dédié au présent Traité et à son colloque de restitution : www.droitsdelamort.com.

[32] Mestre Achille, Etudes et étudiants ; Paris, Dalloz ; 1928 ; p. 109 : « la robe ».

[33] Mestre évoque alors un dialogue entre un tailleur et un jeune professeur reçu au concours d’agrégation. Ce dernier, en raison de ses finances, se dirigeant a priori vers l’une des étoffes les moins onéreuses. « Que M. le professeur me permette une observation utile, suggéra le tailleur d’un air indéfinissable. Il voudra bien se rappeler que cette robe n’est pas le vêtement d’un jour ; elle le suivra dans sa carrière ; plus tard, qu’il ne l’oublie pas, elle couvrira son cercueil ». Et le professeur toulousain de conclure : « Le soir même du triomphe universitaire, devant le professeur de demain, la robe évoquait ainsi, par la voix providentielle du tailleur, le problème de la vie et de la mort » (op. cit. ; p. 112 et s.).

[34] Après avoir recherché en vain sa trace dans tous les cimetières parisiens, dans celui de sa commune de naissance, dans ceux des villes dans lesquelles il a résidé ainsi que dans ceux où sont inhumés les principaux membres de sa famille (Bessé-sur-Braye, Chatellerault et Nancy notamment), nous cherchons encore !

[35] Décédé à Paris et inhumé au cimetière du Père Lachaise en juillet 1901, le président Laferrière et plus précisément sa dépouille nous ont été signalés (par les archives et la conservation municipale) dans trois lieux distincts. Il semblerait – au terme de notre enquête – qu’elle repose – aujourd’hui – dans une sépulture de famille de ce même cimetière et ce, même si son nom n’y figure pas (encore). Il y aurait été ré inhumé à la suite d’un transfert ou d’une reprise de concession le 19 août 1930.

[36] Ce professeur qui précéda quelques années Hauriou dans sa chaire de droit administratif fut par suite un civiliste reconnu et le premier président du Stade toulousain ce qui explique que le Parc des Sports porte encore son nom. Décédé à Toulouse et fierté de ses habitants, il semblerait pourtant qu’il n’y repose pas.

[37] A l’instar de Jules Delcambre (1862-1888) décédé alors qu’il présidait l’association générale des étudiants de Paris (ce qui lui valut un enterrement en grandes pompes et une sépulture ostentatoire au Montparnasse).

[38] Sur les liens entre arts et mort, il faut lire et consulter l’ouvrage désormais classique de : Aries Philippe, Images de l’homme devant la Mort ; Paris, Seuil ; 1983. On consultera également avec profit les stimulantes réflexions issues de l’ouvrage de : Bourdois Cyril, Art de la mort et mort de l’art ; Paris, l’Harmattan ; 2013.

[39] Ce que reprend aujourd’hui le Code Général des Collectivités Territoriales (Cgct) aux art. L. 2223-15 et R. 2223-11 : « Des tarifs différenciés pour chaque catégorie de concessions sont fixés par le conseil municipal (…). Ces tarifs peuvent, dans chaque classe, être progressifs, suivant l’étendue de la surface concédée, pour la partie de cette surface qui excède deux mètres carrés ». Autrement dit, la variation de tarif ne peut dépendre d’un autre facteur que ceux de la durée et de la surface. La question de la localisation étant donc a priori exclue.

[40] Cf. infra notre proposition normative en ce sens au Chap. IV, section 05 du présent Traité (§ 299 et s.).

[41] Voyez en ce sens à propos d’une affaire de préséances lors de la sortie d’une messe, nos commentaires in Eléments d’histoire de l’enseignement du droit public (…) ; Paris, Lgdj ; 2007 ; § 28.

[42] Ce qui a facilité parfois quelques-unes de nos recherches et permis, par hasards providentiels, de découvrir certaines sépultures dont on ignorait qu’elles se trouvaient dans le cimetière visité.

[43] Cette dernière sépulture de famille et ses bières goûtant même le plaisir ironique de se retrouver à quelques mètres d’une brasserie (d’autres bières) de la marque Fischer !

[44] Comme pour le tombeau précité de Roederer (1754-1835) au Père Lachaise.

[45] Sur ce point, on ne résiste pas à renvoyer au désormais classique : Miaille Michel, Une introduction critique au Droit ; Paris, Maspero ; 1978.

[46] Touzeil-Divina Mathieu & Chambost Anne-Sophie, « Le phénomène d’attraction / répulsion au cœur des Facultés de droit de Paris / province » in Halperin Jean-Louis (dir.), Paris, capitale juridique (1804-1950) ; étude de socio-histoire sur la Faculté de droit de Paris ; Paris, Editions Rue d’Ulm ; 2011 ; p. 177 et s.

[47] Respectivement et par ordre alphabétique : Aix-en-Provence, Caen, Dijon, Grenoble, Paris, Poitiers, Rennes, Toulouse et Strasbourg.

[48] Cf. à cet égard : Bernard Michèle, « Au cimetière de Levallois » in Une fois qu’on s’est tout dit (2002).

[49] Par ailleurs père des « artistes / journalistes » dits Basile de Koch et Karl Zéro.

[50] Notamment à l’art. R. 2223-22 du Cgct ainsi qu’à l’art. L. 505 du Code des pensions militaires.

[51] A titre d’exemple mentionnons : Le livre d’Or de la Faculté de Droit de Paris ; guerre 1914-1918 ; Paris, Faculté de Droit ; 1925 avec une belle préface du doyen Larnaude. On renverra également à l’étude du doyen Gojosso Eric, « Les morts pour la France de la Faculté de droit de Poitiers durant la Première Guerre mondiale » in. Cahiers poitevins d’histoire du droit, n°2 ; Poitiers, Lgdj ; 2009, p. 221 et s.

[52] Cf. infra, au Chapitre III, Section 02 du présent Traité, la très belle présentation du « promeneur nécropolitain » André Chabot.

[53] Formé des deux lettres du mot grec « Christ » (X et P) et flanqué, généralement, des lettres α et ω afin de signifier que Jesus-Christ est l’origine et la fin de tout être.

[54] Lors de l’arrivée, à Poitiers, par l’intercession de Radegonde (520-587) d’un morceau de la Sainte-Croix.

[55] A son égard : Machelon Jean-Pierre, « L’épuration républicaine. La Loi du 30 août 1883 » in Revue Histoire de la Justice ; AFHJ ; Paris, Loisel ; 1993 (n°06).

[56] On fait ici évidemment référence à une étoile à cinq branches et non à six comme sur les sépultures judaïques où elle est la symbolique de l’étoile dite de David.

[57] C’est d’ailleurs non loin de sa sépulture et de celle – voisine – de Benjamin Constant (1767-1830) que l’on a, en mai 2014, découvert le corps cruellement assassiné et le crâne fracassé de M. Boudinot.

[58] Y repose également un autre professeur parisien (de procédure(s)), Edouard Bonnier (1808-1877)

[59] On fait ici référence à Jean-Baptiste-Victor (le père du droit civil et administratif des biens) et non à son cousin (Pierre-Joseph (1809-1865)) qui repose, quant à lui, au cimetière du Montparnasse à Paris.

[60] Qu’il s’agisse de la stèle (verticale et en arrière du monument), de la tombale (horizontale et souvent un peu inclinée pour éviter aux eaux de stagner) ou plus rarement de la semelle qui soutient l’ensemble.

[61] Et dont on perçoit encore les stigmates sur la pierre sépulcrale devenue « verte » (de bronze).

[62] Dont le dossier de Légion d’Honneur mentionne encore ostensiblement la confession : « Juif ».

[63] Art. L. 2223-18 Cgct.

[64] A l’exception de certains objets précieux retrouvés comme les bijoux qui demeurent la propriété des ayants droits du défunt (en ce sens : Cass. Crim. 25 octobre 2000 ; n°00-82152).

[65] La sépulture ayant été « continuée » par la famille, ce sont les noms de personnes défuntes plus récemment qui y sont désormais identifiables.

[66] Il n’en existe plus aucune trace mais, une famille du nom de Timon y est actuellement inhumée !

[67] Nous militons évidemment en ce sens et sommes admiratifs du travail accompli par ledit médecin associé au présent Traité (cf. infra aux § 27 et s.). V. notamment de l’auteur : Charlier Philippe, Médecin des morts (…) ; Paris, Fayard ; 2006 et Le roman des morts secrètes de l’histoire ; Paris, Rocher ; 2011.

[68] Il est reproduit supra au § 05.

[69] Son buste figure même dans la chapelle familiale dans laquelle il repose.

[70] Les présentes lignes sont issues de l’article précité aux Miscellanées Hauriou.

[71] Ainsi que l’indique le registre (n° 1043) de l’Etat civil de la ville de Toulouse suite à la déclaration de décès enregistrée le 13 mars 1929 à dix heures.

[72] http://unitedudroit.org/index.php/unites-du-droit/107-histoire-du–des-droits/192-aux-morts-o-mores.

[73] Touzeil-Divina Mathieu, « Aux morts … ô Mores ! » in Ajda ; 2012 ; n°36 (tribune) ; p. 1977. Les paragraphes suivants en sont issus.

[74] Désormais (très vraisemblablement grâce à la mention que nous en avons faite à l’Ajda) mais, comme souvent sans citer ses sources, la page de l’encyclopédie libre wikipedia indique à l’occurrence « Nonac » que parmi les « personnalités liées à la commune », il faut (désormais) mentionner Maurice Hauriou.

[75] C’est en effet le 05 novembre 1899, selon les registres d’Etat civil de la commune, qu’un caveau a été ouvert à la demande du professeur Hauriou et ce, afin d’y inhumer l’une des jumelles dont le couple (Maurice & Marie) avait célébré les naissances le 23 septembre précédant. Une fois adulte, l’autre jumelle (ce qui ne sera pas le cas d’André Hauriou, autre fils (célèbre en droit) du doyen) est d’ailleurs retournée à Nonac dans la maison familiale qu’elle a longtemps habitée. Le doyen Hauriou a donc demandé à être inhumé auprès de sa fille, morte trente années plus tôt, raison pour laquelle son corps ne repose pas à Toulouse.

[76] Le Collectif L’Unite du Droit s’est engagé en ce sens et accepte toute bonne volonté pour l’y aider. L’auteur des présentes lignes remercie à cet égard le geste accompli par la mairie de Nonac et le précieux concours qui lui a été offert par les services municipaux en la matière.

[77] Morin Edgar, La voie ; Paris, Fayard ; 2011.

[78] Voyez en ce sens, in fine du Tome II (§ 888 et s.) notre proposition écrite avec Mme Bouteille-Brigant.

[79] Le corbillard est réservé au transport d’apparat des corps morts lors des rituels funéraires. Il ne doit pas être confondu avec la « voiture de deuil » qui véhicule les vivants (famille, proches et représentants éventuels du culte lors d’un convoi funéraire) et doit son origine à la ville de Corbeil. Autrefois, en effet les corbeillards étaient des bateaux à fond plat chargés du transport de marchandises entre Paris et Corbeil. Lors d’une épidémie de peste, les corbeillards furent également « chargés » du transport de nombreux cadavres ce qui donna naissance aux « corbillards » pour tous les véhicules affectés à une telle mission. On ne résiste pas – à ce sujet – à citer l’ouvrage truculent d’Alphonse Boudard : Le corbillard de Jules (Paris, La table ronde ; 1979).

[80] Ainsi que le rappelait la circulaire DGS/VS 3 n° 95-61 du 04 juillet 1995 relative aux prescriptions applicables aux véhicules participant aux convois funéraires : « Les véhicules affectés au transport de corps après mise en bière sur moyenne et longue distance ou fourgons mortuaires (…) ne doivent pas laisser le cercueil apparent vis-à-vis du public. Le cercueil doit donc être caché, notamment par un catafalque, ou par un caisson, ou par l’occultation des vitres éventuelles (rideaux permanents, stores, vitres opaques en accord avec le code de la route). La vue du cercueil, par le conducteur, à travers la cloison séparant le conducteur est permise puisqu’elle entre dans le cadre professionnel. En aucun cas, l’occultation du cercueil ne peut être réalisée au seul moyen d’un drap mortuaire qui ne constitue pas un système permanent ». Actuellement, la norme imposant cette prescription est l’art. D. 2223-117 du Cgct : « S’il comporte des parties vitrées, le compartiment funéraire doit comporter un procédé d’occultation visuelle pour les besoins des transports sur moyenne et longue distance ».

[81] Igas, Pistes d’évolution de la réglementation des soins de conservation ; rapport de juillet 2013 disponible en ligne ici : http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/RM2013-130P_DEF.pdf. Dans son article (cf. infra Chapitre I, Section 05, § 62 et s.), Mme Perchey revient également sur ce point.

[82] Dans un ouvrage paru quelques jours avant le présent Traité un ancien praticien revient sur l’origine, finalement très moderne, de ce mot fruit de la pensée d’André Chatillon pour décrire les soins de conservation destinés à préserver le corps mort de sa décomposition : Bailly Guillaume, Mes sincères condoléances (…) ; Paris, L’Opportun ; 2014 ; p. 45.

[83] Anne Fuard & André Chabot : http://lamemoirenecropolitaine.fr.

[84] C’est en effet en ce sens, à la lumière des travaux de Gilles Deleuze, que nous concevons l’idée doctrinale : Abécédaire : entretiens avec Claire Parnet ; Paris, Montparnasse ; 2004 (à la lettre « P comme professeur »).

[85] Il faut lire à son égard : Teule Jean, Fleur de tonnerre ; Paris, Julliard ; 2013.

[86] Une plaque va en ce sens être déposée. Il est, du reste, toujours possible de rejoindre le groupe récemment formé et d’y participer. Pour ce faire, il suffit d’envoyer un courriel à : patristique@unitedudroit.org.

[87] A l’heure où nous imprimons, sort également un numéro spécial de Philosophie magazine (n°83, octobre 2014) dont le dossier s’intitule « Liberté, Inégalité, Immortalité » et qui explore, notamment, les hypothèses contemporaines nées dans la Silicon Valley pour atteindre une forme d’immortalité.

[88] Ce qui ne sera malheureusement plus le cas de l’if du cimetière de Montgardon (Manche) dont on apprend avec regrets en terminant les relectures du présent Traité qu’il sera bientôt éliminé (Ouest-France, 24 septembre 2014).

[89] Après une longue hésitation avec l’épitaphe suivante plus simple (mais efficace) : « Mdr ».